lundi 23 avril 2018

Nuit des chercheurs, nuit des profanes.

 L'équation des géodésiques en relativité générale, nuit des chercheurs
L'équation des géodésiques en relativité générale.
Septembre 2016, c'est la "Nuit des chercheurs", une rencontre annuelle organisée entre les tout-puissants savants et la masse informe du grand public, avide d'explosions chimiques, de drones et de citations apocryphes d'Albert Einstein.
Pardonnez mon acrimonie (ou mon sens de la provocation intellectuelle) et lisez la suite. Un monsieur s'approche de notre atelier initialement dédié à l'interaction lumière-matière et engage la conversation avec une question portant sur la relativité générale. Je joue le jeu et pour présenter le concept d’espace-temps courbé invoque quelques poncifs à propos de géodésiques. J’explique que, par exemple, le chemin le plus court à la surface d’une sphère n’est pas la "ligne droite" obtenue par projection sur un plan, c’est d’ailleurs pourquoi les vols Paris-New York passent plus près du pôle nord au lieu de suivre les parallèles. Ce à quoi il rétorque : « je ne vous crois pas ». Pris de court, je propose pour toute réponse un « faites le calcul et vous verrez ». Mais au fond, quel espoir avais-je, avec cette réplique extrêmement maladroite, qu’un amateur, même de bonne volonté, s’attelât à la résolution d’un problème de niveau universitaire [1] en rentrant chez lui, surtout si ledit individu abordait les résultats des mathématiques non sur le plan de la logique mais sur le mode de la croyance ?
Je n’ai aucun jugement à émettre sur cet homme. L’éducation scientifique et la diffusion des savoirs, quant à elles, posent de bien plus sérieux problèmes. La vulgarisation illustre habituellement plus qu’elle n’explique le haut degré d’abstraction de la physique contemporaine. La compréhension de l’origine de cette abstraction ne semble percoler qu’à travers le discours de certains philosophes des sciences et bien trop rarement au sein du cercle restreint des scientifiques de profession. Plutôt que d'organiser une nuit des chercheurs où sont exhibés, comme dans un cirque, la nanoélectronique et les robots tueurs autonomes, je propose une nuit de l’épistémologie, pour discuter de la manière dont s’établissent les connaissances scientifiques. Et les chercheurs seront les bienvenus … dans le public. Car visiblement ils ne savent pas non plus expliquer d’où viennent la solidité et l’autorité de leurs résultats. Cependant, après avoir relu attentivement le classique de Thomas Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, un examen minutieux de l’Histoire des sciences semble montrer que les progrès si rapides des technosciences viennent essentiellement de ce que les chercheurs n'ont que faire de devoir justifier leurs « méthodes » et leurs approches au grand public. Ceci leur permet notamment de tenir un ensemble de normes pour acquis, sans perdre de temps à les remettre en question, donc de résoudre plus promptement les énigmes qui se présentent à eux tout en consolidant la communauté autour d'un consensus : c’est la définition d’un paradigme. Cette façon d'opérer facilite également l'apprentissage des étudiants scientifiques qui, à la différence des étudiants en philosophie ou en politique, n'ont nullement à juger parmi diverses solutions incommensurables entre elles car issues d'écoles concurrentes .

Ainsi, d’après l’auteur, il doit exister dans la société un groupe fermé de scientifiques appartenant au cercle défini de ceux qui partagent la même activité professionnelle, sous la règle stricte, quoique non écrite, de ne jamais faire appel, en matière de science, aux chefs d'État ou à la masse du public. "Les membres du groupe, en tant qu'individus et en vertu de leur formation et de leur expérience commune, doivent être considérés comme les seuls connaisseurs des règles du jeu ou d'un critère équivalent de jugement sans équivoque" (chap. 12). Douter de ces critères mettrait en péril l'unité de la science. Effrayant ou nécessaire ?

[1]

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89quation_des_g%C3%A9od%C3%A9siques

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