jeudi 12 juillet 2018

Les Armes électromagnétiques Russes pendant la guerre Froide

Radar Daryal Pechora
Un radar Daryal sur la station de Pechora dans le Nord de la Russie.
Lors d’une très récente visite dans les archives d’un laboratoire de recherche scientifique publique, j’ai eu la surprise de découvrir un ancien rapport d’état de l’art traitant des armes électromagnétiques (EM). Établi par une agence indépendante en 1988, on y apprend qu’il y a 30 ans déjà, auraient existé de nombreuses techniques militaires effrayantes utilisant les ondes EM à des fins létales.


Pour fixer les idées, ce rapport stipule que la plupart de nos moyens actuels d’imagerie (des applications médicales à la spectroscopie optique non-linéaire) ont dans leur généalogie un ancêtre commun originellement destiné à désorienter, paralyser ou tuer des cibles humaines. Ces armes à impulsions EM sont classées en plusieurs catégories : 
  1. Armes individuelles portatives pour des assassinats de proximité.
  2. Armes embarquées dans des camions ou des avions, dont la portée atteint plusieurs kilomètres.
  3. Armes tactiques basées à terre ou dans un avion. Portée de l’ordre de la dizaine de kilomètre.
  4. Armes stratégiques basées dans l’espace, pouvant attaquer des villes entières avec des effets mortels analogues à ceux d’armes nucléaires mais sans les destructions physiques correspondantes.
  5. Armes stratégiques basées à terre, utilisant les réflexions ionosphériques pour une propagation au-delà de l’horizon, de très longue portée.
Ces dispositifs reposent typiquement, comme on s’y attend, sur l’utilisation de sources d’énergie compactes, de générateurs de rayonnement EM (lasers, magnétrons, …), de systèmes de focalisation, de pointage et de façonnage des faisceaux (lentilles, guides d’ondes, antennes à conjugaison de phase…).

Quel niveau de confiance accorder à cette source ?


Premièrement, il ressort de ce rapport que durant la guerre froide, les Russes auraient été très en avance sur le reste du monde dans ce champ de recherche militaire. Les stratèges occidentaux, quant à eux, n’auraient pas su saisir à sa juste mesure le potentiel offert par les armes EM, ce qui expliquerait le faible intérêt qu’on semble leur avoir porté de ce côté du mur et, par suite, le caractère incongru que revêt désormais ce sujet dans nos contrées. D’après les auteurs, certains experts du bloc de l’Est ont, à cette époque, brutalement cessé de publier leurs travaux dans les revues à comité de lecture pour ne réapparaître que plus tard dans le paysage de la recherche internationale. Ceci témoignerait d’un basculement de leurs résultats dans le domaine du secret-défense. Deux objections doivent être immédiatement soulevées. D’une part les experts en question ne sont pas explicitement nommés, ce qui empêche leur identification formelle. S’il s’agit de V.M. Inyushin (nous y reviendront dans la suite de ce texte) une rapide recherche sur Google Scholar fait effectivement apparaître deux périodes creuses, respectivement entre 1971 et 1981 puis 1981 et 1987. Mais rien ne garantit que la totalité des travaux rédigés en langue russe, publiés dans des journaux scientifiques locaux, relatifs à des pays aujourd'hui indépendants comme le Kazakhstan, aient été traduits en anglais et nous soient parvenus. Au vu de l'inextricable système bureaucratique Soviétique, ne tirons pas de conclusion hâtive sur ce point. D’autre part, les documents classifiés vraiment sensibles restent inaccessibles ou non-diffusables sur de très longues périodes (bien supérieures à 30 ans). Il serait donc impossible de tester cette hypothèse en espérant consulter des archives militaires. Au reste, comme le veut l’adage, l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence. Aussi est-il également douteux de conclure en faveur de l’hypothèse d’une cessation des travaux due à un manque de financements, à des résultats non concluants ou à la disparition physique de ces chercheurs. Puisque le critère de réfutation de Popper semble ne pas avoir cours,  la prudence critique reste de mise à la lecture de cet étonnant rapport, trop vague sous bien des aspects. Sur le plan scientifique pourtant, les concepts présentés sont vraisemblables. Au plan technique, les dispositifs décrits sont largement réalisables, qu’il s’agisse de plasmas, de micro-ondes ou de lasers. Il demeure qu’un certain nombre de suppositions audacieuses viennent obscurcir le texte et dégagent, dans l’ensemble, une impression sulfureuse. Citons par exemple ce passage concernant la possibilité de dégrader l’état de santé général de personnes vivant dans une région donnée au moyen d’une faible irradiation EM sur une durée longue : « Des indices concordants montrent que les soviétiques ont déjà mené à de nombreuses reprises ce genre d’agressions à basse intensité – Le cas le plus spectaculaire ayant été l’irradiation systématique de l’ambassade américaine à Moscou». Nous n’aurons pas davantage de précisions sur la nature de « ces indices concordants ».  Dans la suite, je n’ai donc pas jugé pas utile de communiquer le moindre ordre de grandeur physique ni le détail technique des dispositifs et protocoles présentés dans le rapport. A sa lecture, on est interpelé par le niveau d’incertitude et d’ambiguïté des sources citées. Alors, futurologie spéculative, propagande antisoviétique primaire ou état de l’art précis et rigoureux ? Rêve obscène d’ingénieurs militaires à l’imagination débordante, voulant tromper l’ennui d’un morne bunker un soir de canicule ou informations réelles, obtenues par canaux diplomatiques, loin des micros et des conférences de presse ? Ce qui est certain c’est qu’il y a 30 ans, certains des résultats présentés ici étaient à la pointe de la recherche scientifique.

Les technologies décrites


C’est le cas par exemple des réseaux d’antennes à commande de phase contrôlées informatiquement, utilisées en général pour la détection longue distance de missiles intercontinentaux. Une station terrestre de ce type, « couplée à un système orbital à énergie solaire » aurait été envisagée par le bloc de l’Est afin de produire des modifications climatiques locales. Les antennes à conjugaison de phase permettent, il est vrai, d’obtenir n’importe quelle distribution spatiale du champ EM, de focaliser et diriger les faisceaux RF ou micro-ondes à volonté. Les auteurs prétendent qu'un tel système aurait pu fournir suffisamment de puissance pour permettre à des régions isolées du cercle polaire arctique de développer une agriculture hivernale, ce qui aurait eu une grande importance pour l’économie russe. Certaines de ces stations constituées d’une multitude d’antennes couplées sont encore en activité sur le sol russe. C’est le cas par exemple du radar Daryal de Pechora (photo au frontispice de l'article) dans le nord du pays, dont les deux immenses structures s’élèvent comme des vaisseaux extra-terrestres au-dessus des conifères de la forêt boréale. Une vision que n’aurait pas reniée Enki Bilal. D’autres, comme celui de Mukachevo en Ukraine, ont été laissés à l’abandon, leur construction jamais achevée après de l’effondrement de l’URSS. Seules demeurent des ruines de la taille d’un immeuble, dans une ambiance post-industrielle fantomatique. Les amateurs d'urbex pourront consulter ce site, correspondant à la référence [1].
Radar Daryal Mukachevo
Ruine du radar Daryal de Mukachevo, en Ukraine
L’autre axe d’intérêt de ce rapport concerne l’interaction de la lumière (qui, rappelons-le, est une onde EM) avec les tissus biologiques. Les auteurs avancent que la « forme » du faisceau serait plus importante que sa puissance dans les applications de médecine militaires. Afin de déclencher les effets requis pour détruire ou contrôler la matière vivante, il serait de mise d’utiliser des impulsions EM modulées en basses fréquences. Ainsi, la dose létale minimale serait typiquement de plusieurs ordres de grandeur inférieure à celle nécessaire pour tuer par cuisson, comme par dans un four à micro-ondes. Les effets discutés ici sont donc de nature non-thermique. Dans notre cas, la puissance de la source n’est utile que pour augmenter la portée de tir et la pénétration des installations souterraines. En étendant un peu le principe de la spectroscopie des espèces chimiques, on est amené à conclure qu’il devient possible d’activer à distance (i.e. sans avoir recours à l’empoisonnement) les molécules biologiques qui interagissent avec les champs EM, afin de déclencher toutes sortes d’effets plus ou moins néfastes pour l’organisme : dépression, maux de tête, cancers … Des changements neurologiques profonds, similaires à ceux obtenus à l’aide de drogues psychotropes, peuvent être obtenus « sans apport matériel » en soumettant un sujet à des champs EM. Outre la possibilité d’endormir ou d’exciter des singes de laboratoire en les irradiant au moyen d’un champ modulé à la fréquence des ondes cérébrales, un « transfert direct d’informations » serait également réalisable. De la télépathie, en somme. Restons sceptiques. Enfin, puisque l’humain est une « machine électrique », en plus du cerveau, le système nerveux central, les organes vitaux et le cœur en particulier seraient des cibles de choix pour les armes EM. Logique.


Discussion sur les références bibliographiques :


Il est à noter que dans ce rapport, les références bibliographiques concernant les effets biophysiques susmentionnés sont plutôt clairsemées. Mais comment citer des sources qui, en 1988, officiellement « n’existaient pas » à cause du secret-défense ? Le serpent se mord la queue. Cet état de l’art prétend donc s’appuyer sur les exemples de techniques non-mortelles qui sont depuis longtemps abondamment documentées. Les auteurs se réfèrent notamment à la tradition de recherche Russe sur le bio-électromagnétisme, et citent par exemple l’un de ses représentants : Alexander Gurwitsch. En 1941, il se vit couronné du Prix Staline (ca ne s’invente pas !) pour la découverte des biophotons, une forme de bio-luminescence de très basse intensité dans l’ultraviolet. Si l’existence de ces derniers est avérée et étudiée, leur fonction physiologique dans l’organisme Humain reste à ce jour mal comprise et sujette à débats. Typiquement, certaines expériences de Gurwitsch concernant les relations entre les biophotons et le développement morphogénétique ne purent jamais être reproduites, ce qui complique l’analyse des effets des armes EM sur le corps humain. Ces résultats en demi-teinte semblent être caractéristiques de la recherche soviétique sur le sujet, qui compte pourtant dans ses rangs d’éminents protagonistes tels que L. Mandelstam, P.A. Tcherenkov, V. Ginzburg, L. Landau, A. Sakharov ou I. Tamm, dont plusieurs furent lauréats du prix Nobel au XXème siècle. Mais symétriquement, on pourra placer sur cette échelle de valeur les noms de G. Lakhovsky, S. Kirlian ou K.Korotkov, qui sont régulièrement associés à la pseudoscience voire à l’escroquerie pour leurs travaux en parapsychologie et bioénergie. Ceux-ci étaient fréquents en Russie et très largement financés à l’époque soviétique. Si l'on veut comprendre l’origine de cet étrange engouement pour la recherche ésotérique au sein d’une grande puissance mondiale, peut-être doit-on se rappeler l'influence décisive qu'exerça sur le pouvoir des derniers Tsars, à l'aube du XXème siècle, un prophète itinérant pétri de visions mystiques nommé Raspoutine. On lui prêtait volontiers des dons de guérisseur et de voyance qu'il aurait pu acquérir dans son enfance, passée au contact des chamans sibériens. Il fut le plus proche conseiller de la famille royale et son comportement marqua profondément et durablement la société Russe. Mais trêve de digressions. Revenons au rapport, qui cite les travaux de V.M. Inyushin, et en particulier ce livre, présenté en référence [2], paru en 1975 et publié en seulement 4000 exemplaires derrière le rideau de fer. Il y est question de biostimulation par laser et de bioplasma. Ce dernier terme est aujourd'hui plutôt controversé puisqu'il est associé aux travaux de Korotkov sur l’effet Kirlian. On l’interprète généralement dans un contexte New-Age en le reliant aux notions de corps astral, de chakras, d'aura et de médecine quantique. A priori, nous sommes aujourd’hui encore très loin de pouvoir comprendre et caractériser les processus quantiques à la température du vivant (en admettant qu’ils existent). Mais avant de reléguer ce livre aux oubliettes des pseudo-sciences, remarquons qu’il fut en son temps classé comme document secret par la CIA, ce qui prouve l’intérêt -et peut être la crainte- des services de renseignement américains à ce sujet. En outre, on lira avec attention la note préliminaire des traducteurs américains : "Notre opinion est que les résultats présentés dans ce livre sont d'une importance capitale pour les chercheurs du monde entier." Tout en admettant qu'il puisse y avoir des doutes quant à l'existence du bioplasma en tant que 5ème état de la matière à l'intérieur du corps humain, les traducteurs affirment qu'on trouve dans ce livre la meilleure description théorique de cette substance biologique ionisée - sur laquelle pourraient donc agir des armes électromagnétiques. De plus, ils reconnaissent que les chercheurs occidentaux sont « complètement passés à côté de l'existence d'effets non-thermiques de la lumière sur les systèmes vivants ».
Inyushin, bioplasma.
La couverture de l'exemplaire déclassifié par la CIA de la monographie (parue en 1975) de V.M Inyushin sur l'interaction lumière-matière biologique.

Si ce livre était très loin de constituer une preuve de consensus scientifique en son temps, il reste que ces études ont été réalisées et publiées au niveau universitaire. S’agissait-il de manœuvres de diversion, de propagande orchestrée par les services de renseignement Soviétiques afin de semer la confusion chez leurs homologues Américains ? Aujourd'hui, le terme de bioplasma a été abandonné par la communauté et on connait avec bien plus de précision les mécanismes d’action des rayonnements électromagnétiques sur les tissus vivants (voir [3] sur les rayonnements laser de basse intensité). En témoignent d’une part les appareils d'électrothérapie et d’autre part de physiothérapie à base de lasers infrarouges pulsés, que l'on trouve désormais chez tous les kinésithérapeutes. Mais dans quelle mesure des recherches comme celles menées par Inyushin ont-elles pu contribuer à développer ce champ disciplinaire ? Un rapport déclassifié en libre accès sur internet contient des informations qui sont soit pour partie erronées, soit dépassées, au sens où elles auraient désormais leur place dans la banalité des connaissances élémentaires en biophotonique. Cela étant, l’état présent des techniques pourrait plaider en faveur de l’existence probable de la plupart des armes EM décrites dans le rapport. Si l'on a su commercialiser les dispositifs médicaux que nous connaissons sur les marchés grand-public, il est possible qu’en amont, la compréhension et la maîtrise de l'interaction lumière-matière aient été poussées suffisamment loin pour obtenir les effets voulus, quels qu’ils soient. L’Histoire n’a que trop montré le couplage entre la recherche militaire et les progrès de la médecine. Mais cette hypothèse n'a rien d'une nécessité : il n'est pas exclu que ces résultats aient fait l'objet d'une sur-interprétation, les effets de technologies nouvelles étant généralement surestimés sur le court terme.



Conclusion : 


J’ignore dans quelle mesure les actuels historiens des sciences se sont penchés sur le vaste corpus bibliographique produit par les ingénieurs et les biophysiciens soviétiques. Il n’est pas douteux qu’une telle étude soit captivante. Etant donné l’ampleur de ce travail et le niveau de qualification requis pour l’effectuer, les remarques que je partage ici à la volée ne doivent être considérées que comme des ébauches, des hypothèses. Quant à mes conclusions, leur portée reste superficielle. La rigueur et la profondeur d’analyse m’échappent nécessairement par manque de temps, de connaissances et de moyens. Aussi suis-je ouvert à toute discussion susceptible d’éclairer ma lanterne. Ah si j’avais plus de temps devant moi … j’aurais aussi sûrement plus de flemme ;-) 
Dans l’ensemble, les pages de ce rapport sont d’un cynisme extrême et le ton oscille en permanence entre l’horrible et le comique. J’en veux pour preuve ce dernier extrait, qui témoigne d’un pragmatisme et d’un conservatisme peut-être typiquement militaires. A leur manière, les auteurs pointent une cause probable d’abandon des recherches sur le contrôle du cerveau Humain à distance. En effet, il existait déjà en 1988 un ensemble de techniques bien plus simples et ô combien plus efficaces : "Il ne faut pas que la nature apparemment exotique de ces effet nous fasse oublier que la musique rock, les mauvais films et les programmes de télévision débiles du nouveau paysage audiovisuel français, le fameux "PAF", constituent aussi une manipulation psychologique par signaux électromagnétiques ..."

A bon entendeur.

Références : 


[1] https://www.flickr.com/photos/martintrolle/sets/72157630234371852/with/7419243542/

[2] https://www.cia.gov/library/readingroom/document/cia-rdp9600787r000500080001-0


[3] Ferraresi C. et. al. "Low-level laser (light) therapy (LLLT) on muscle tissue: performance, fatigue and repair benefited by the power of light", Photonics Lasers Med. 2012 Nov 1;1(4):267-286.

[4] Coelho Cde F. et. al. "Effectiveness of phototherapy incorporated into an exercise program for osteoarthritis of the knee: study protocol for a randomized controlled trial.", 2014 Jun 11;15:221. doi: 10.1186/1745-6215-15-221.

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