Un radar Daryal sur la station de Pechora dans le Nord de la Russie. |
Lors d’une très récente visite
dans les archives d’un laboratoire de recherche scientifique publique, j’ai eu
la surprise de découvrir un ancien rapport d’état de l’art traitant des armes
électromagnétiques (EM). Établi par une
agence indépendante en 1988, on y apprend qu’il y a 30 ans déjà, auraient existé de nombreuses techniques militaires effrayantes utilisant les
ondes EM à des fins létales.
Pour fixer les idées, ce rapport stipule que la plupart de nos
moyens actuels d’imagerie (des applications médicales à la spectroscopie
optique non-linéaire) ont dans leur généalogie un ancêtre commun originellement
destiné à désorienter, paralyser ou tuer des cibles humaines. Ces armes à
impulsions EM sont classées en plusieurs catégories :
- Armes individuelles portatives pour des assassinats de proximité.
- Armes embarquées dans des camions ou des avions, dont la portée atteint plusieurs kilomètres.
- Armes tactiques basées à terre ou dans un avion. Portée de l’ordre de la dizaine de kilomètre.
- Armes stratégiques basées dans l’espace, pouvant attaquer des villes entières avec des effets mortels analogues à ceux d’armes nucléaires mais sans les destructions physiques correspondantes.
- Armes stratégiques basées à terre, utilisant les réflexions ionosphériques pour une propagation au-delà de l’horizon, de très longue portée.
Ces dispositifs reposent
typiquement, comme on s’y attend, sur l’utilisation de sources d’énergie
compactes, de générateurs de rayonnement EM (lasers, magnétrons, …), de
systèmes de focalisation, de pointage et de façonnage des faisceaux (lentilles,
guides d’ondes, antennes à conjugaison de phase…).
Quel niveau de confiance accorder à cette source ?
Premièrement, il ressort de ce
rapport que durant la guerre froide, les Russes auraient été très en avance sur le
reste du monde dans ce champ de recherche militaire. Les stratèges
occidentaux, quant à eux, n’auraient pas su saisir à sa juste mesure le potentiel offert par les
armes EM, ce qui expliquerait le faible intérêt qu’on semble leur avoir porté
de ce côté du mur et, par suite, le caractère incongru que revêt désormais ce
sujet dans nos contrées. D’après les auteurs, certains experts du bloc de l’Est
ont, à cette époque, brutalement cessé de publier leurs travaux dans les revues
à comité de lecture pour ne réapparaître que plus tard dans le paysage de la
recherche internationale. Ceci témoignerait d’un basculement de leurs résultats
dans le domaine du secret-défense. Deux objections doivent être immédiatement
soulevées. D’une part les experts en question ne sont pas explicitement nommés,
ce qui empêche leur identification formelle. S’il s’agit de V.M. Inyushin (nous
y reviendront dans la suite de ce texte) une rapide recherche sur Google
Scholar fait effectivement apparaître deux périodes creuses, respectivement
entre 1971 et 1981 puis 1981 et 1987. Mais rien ne garantit que la totalité des
travaux rédigés en langue russe, publiés dans des journaux scientifiques locaux,
relatifs à des pays aujourd'hui indépendants comme le Kazakhstan, aient été
traduits en anglais et nous soient parvenus. Au vu de l'inextricable système
bureaucratique Soviétique, ne tirons pas de conclusion hâtive sur ce point. D’autre
part, les documents classifiés vraiment sensibles restent inaccessibles ou
non-diffusables sur de très longues périodes (bien supérieures à 30 ans). Il serait
donc impossible de tester cette hypothèse en espérant consulter des archives
militaires. Au reste, comme le veut l’adage, l’absence de preuve n’est pas la
preuve de l’absence. Aussi est-il également douteux de conclure en faveur de
l’hypothèse d’une cessation des travaux due à un manque de financements, à des
résultats non concluants ou à la disparition physique de ces chercheurs. Puisque
le critère de réfutation de Popper semble ne pas avoir cours, la prudence critique reste de mise à la
lecture de cet étonnant rapport, trop vague sous bien des aspects. Sur le plan
scientifique pourtant, les concepts présentés sont vraisemblables. Au plan
technique, les dispositifs décrits sont largement réalisables, qu’il s’agisse
de plasmas, de micro-ondes ou de lasers. Il demeure qu’un certain nombre de
suppositions audacieuses viennent obscurcir le texte et dégagent, dans l’ensemble,
une impression sulfureuse. Citons par exemple ce passage concernant la
possibilité de dégrader l’état de santé général de personnes vivant dans une
région donnée au moyen d’une faible irradiation EM sur une durée longue :
« Des indices concordants montrent que les soviétiques ont déjà mené à de
nombreuses reprises ce genre d’agressions à basse intensité – Le cas le plus
spectaculaire ayant été l’irradiation systématique de l’ambassade américaine à
Moscou». Nous n’aurons pas davantage de précisions sur la nature de « ces
indices concordants ». Dans la
suite, je n’ai donc pas jugé pas utile de communiquer le moindre ordre de
grandeur physique ni le détail technique des dispositifs et protocoles
présentés dans le rapport. A sa lecture, on est interpelé par le niveau
d’incertitude et d’ambiguïté des sources citées. Alors, futurologie spéculative,
propagande antisoviétique primaire ou état de l’art précis et rigoureux ? Rêve
obscène d’ingénieurs militaires à l’imagination débordante, voulant tromper
l’ennui d’un morne bunker un soir de canicule ou informations réelles, obtenues
par canaux diplomatiques, loin des micros et des conférences de presse ? Ce qui
est certain c’est qu’il y a 30 ans, certains des résultats présentés ici
étaient à la pointe de la recherche scientifique.
Les technologies décrites
C’est le cas par exemple des réseaux d’antennes à commande de phase contrôlées informatiquement, utilisées en général pour la détection longue distance de missiles intercontinentaux. Une station terrestre de ce type, « couplée à un système orbital à énergie solaire » aurait été envisagée par le bloc de l’Est afin de produire des modifications climatiques locales. Les antennes à conjugaison de phase permettent, il est vrai, d’obtenir n’importe quelle distribution spatiale du champ EM, de focaliser et diriger les faisceaux RF ou micro-ondes à volonté. Les auteurs prétendent qu'un tel système aurait pu fournir suffisamment de puissance pour permettre à des régions isolées du cercle polaire arctique de développer une agriculture hivernale, ce qui aurait eu une grande importance pour l’économie russe. Certaines de ces stations constituées d’une multitude d’antennes couplées sont encore en activité sur le sol russe. C’est le cas par exemple du radar Daryal de Pechora (photo au frontispice de l'article) dans le nord du pays, dont les deux immenses structures s’élèvent comme des vaisseaux extra-terrestres au-dessus des conifères de la forêt boréale. Une vision que n’aurait pas reniée Enki Bilal. D’autres, comme celui de Mukachevo en Ukraine, ont été laissés à l’abandon, leur construction jamais achevée après de l’effondrement de l’URSS. Seules demeurent des ruines de la taille d’un immeuble, dans une ambiance post-industrielle fantomatique. Les amateurs d'urbex pourront consulter ce site, correspondant à la référence [1].
Ruine du radar Daryal de Mukachevo, en Ukraine |
L’autre axe d’intérêt de ce
rapport concerne l’interaction de la lumière (qui, rappelons-le, est une onde
EM) avec les tissus biologiques. Les auteurs avancent que la
« forme » du faisceau serait plus importante que sa puissance dans
les applications de médecine militaires. Afin de déclencher les effets requis pour détruire ou contrôler la matière vivante, il serait
de mise d’utiliser des impulsions EM modulées en basses fréquences. Ainsi, la
dose létale minimale serait typiquement de plusieurs ordres de grandeur
inférieure à celle nécessaire pour tuer par cuisson, comme par dans un four à
micro-ondes. Les effets discutés ici sont donc de nature non-thermique. Dans
notre cas, la puissance de la source n’est utile que pour augmenter la portée
de tir et la pénétration des installations souterraines. En étendant un peu le
principe de la spectroscopie des espèces chimiques, on est amené à conclure qu’il devient
possible d’activer à distance (i.e. sans avoir recours à l’empoisonnement) les
molécules biologiques qui interagissent avec les champs EM, afin de déclencher
toutes sortes d’effets plus ou moins néfastes pour l’organisme : dépression,
maux de tête, cancers … Des changements neurologiques profonds, similaires à
ceux obtenus à l’aide de drogues psychotropes, peuvent être obtenus « sans
apport matériel » en soumettant un sujet à des champs EM. Outre la
possibilité d’endormir ou d’exciter des singes de laboratoire en les irradiant
au moyen d’un champ modulé à la fréquence des ondes cérébrales, un
« transfert direct d’informations » serait également réalisable. De
la télépathie, en somme. Restons sceptiques. Enfin, puisque l’humain est une « machine
électrique », en plus du cerveau, le système nerveux central, les organes
vitaux et le cœur en particulier seraient des cibles de choix pour les armes
EM. Logique.
Discussion sur les références bibliographiques :
Il est
à noter que dans ce rapport, les références bibliographiques concernant les
effets biophysiques susmentionnés sont plutôt clairsemées. Mais comment citer
des sources qui, en 1988, officiellement « n’existaient pas » à cause
du secret-défense ? Le serpent se mord la queue. Cet état de l’art prétend
donc s’appuyer sur les exemples de techniques non-mortelles qui sont depuis
longtemps abondamment documentées. Les auteurs se réfèrent notamment à la
tradition de recherche Russe sur le bio-électromagnétisme, et citent par exemple
l’un de ses représentants : Alexander Gurwitsch. En 1941, il se vit
couronné du Prix Staline (ca ne s’invente pas !) pour la découverte des
biophotons, une forme de bio-luminescence de très basse intensité dans
l’ultraviolet. Si l’existence de ces derniers est avérée et étudiée, leur fonction
physiologique dans l’organisme Humain reste à ce jour mal comprise et sujette à
débats. Typiquement, certaines expériences de Gurwitsch concernant les
relations entre les biophotons et le développement morphogénétique ne purent
jamais être reproduites, ce qui complique l’analyse des effets des armes EM sur
le corps humain. Ces résultats en demi-teinte semblent être caractéristiques de
la recherche soviétique sur le sujet, qui compte pourtant dans ses rangs d’éminents
protagonistes tels que L. Mandelstam, P.A. Tcherenkov, V. Ginzburg, L. Landau,
A. Sakharov ou I. Tamm, dont plusieurs furent lauréats du prix Nobel au XXème
siècle. Mais symétriquement, on pourra placer sur cette échelle de valeur les
noms de G. Lakhovsky, S. Kirlian ou K.Korotkov, qui sont régulièrement associés
à la pseudoscience voire à l’escroquerie pour leurs travaux en parapsychologie
et bioénergie. Ceux-ci étaient fréquents en Russie et très largement financés à
l’époque soviétique. Si l'on veut comprendre l’origine de cet étrange engouement
pour la recherche ésotérique au sein d’une grande puissance mondiale, peut-être
doit-on se rappeler l'influence décisive qu'exerça sur le pouvoir des derniers
Tsars, à l'aube du XXème siècle, un prophète itinérant pétri de visions
mystiques nommé Raspoutine. On lui prêtait volontiers des dons de guérisseur et
de voyance qu'il aurait pu acquérir dans son enfance, passée au contact des
chamans sibériens. Il fut le plus proche conseiller de la famille royale et son
comportement marqua profondément et durablement la société Russe. Mais trêve de
digressions. Revenons au rapport, qui cite les travaux de V.M. Inyushin, et en
particulier ce livre, présenté en référence [2], paru en
1975 et publié en seulement 4000 exemplaires derrière le rideau de fer. Il y est question
de biostimulation par laser et de bioplasma. Ce dernier terme est aujourd'hui
plutôt controversé puisqu'il est associé aux travaux de Korotkov sur l’effet
Kirlian. On l’interprète généralement dans un contexte New-Age en le reliant
aux notions de corps astral, de chakras, d'aura et de médecine quantique. A priori,
nous sommes aujourd’hui encore très loin de pouvoir comprendre et caractériser
les processus quantiques à la température du vivant (en admettant qu’ils
existent). Mais avant de reléguer ce livre aux oubliettes des pseudo-sciences, remarquons
qu’il fut en son temps classé comme document secret par la CIA, ce qui prouve
l’intérêt -et peut être la crainte- des services de renseignement américains à
ce sujet. En outre, on lira avec attention la note préliminaire des traducteurs
américains : "Notre opinion est que les résultats présentés dans ce
livre sont d'une importance capitale pour les chercheurs du monde entier."
Tout en admettant qu'il puisse y avoir des doutes quant à l'existence du
bioplasma en tant que 5ème état de la matière à l'intérieur du corps humain,
les traducteurs affirment qu'on trouve dans ce livre la meilleure description
théorique de cette substance biologique ionisée - sur laquelle pourraient donc agir
des armes électromagnétiques. De plus, ils reconnaissent que les chercheurs
occidentaux sont « complètement passés à côté de l'existence d'effets non-thermiques
de la lumière sur les systèmes vivants ».
La couverture de l'exemplaire déclassifié par la CIA de la monographie (parue en 1975) de V.M Inyushin sur l'interaction lumière-matière biologique.
|
Si ce livre était très loin de
constituer une preuve de consensus scientifique en son temps, il reste que ces
études ont été réalisées et publiées au niveau universitaire. S’agissait-il de
manœuvres de diversion, de propagande orchestrée par les services de
renseignement Soviétiques afin de semer la confusion chez leurs homologues
Américains ? Aujourd'hui, le terme de bioplasma a été abandonné par la
communauté et on connait avec bien plus de précision les mécanismes d’action
des rayonnements électromagnétiques sur les tissus vivants (voir [3] sur les rayonnements laser de basse intensité). En témoignent d’une
part les appareils d'électrothérapie et d’autre part de physiothérapie à base
de lasers infrarouges pulsés, que l'on trouve désormais chez tous les
kinésithérapeutes. Mais dans quelle mesure des recherches comme celles menées
par Inyushin ont-elles pu contribuer à développer ce champ disciplinaire ?
Un rapport déclassifié en libre accès sur internet contient des informations
qui sont soit pour partie erronées, soit dépassées, au sens où elles auraient
désormais leur place dans la banalité des connaissances élémentaires en
biophotonique. Cela étant, l’état présent des techniques pourrait plaider en
faveur de l’existence probable de la plupart des armes EM décrites dans le
rapport. Si l'on a su commercialiser les dispositifs médicaux que nous
connaissons sur les marchés grand-public, il est possible qu’en amont, la
compréhension et la maîtrise de l'interaction lumière-matière aient été poussées
suffisamment loin pour obtenir les effets voulus, quels qu’ils soient. L’Histoire
n’a que trop montré le couplage entre la recherche militaire et les progrès de
la médecine. Mais cette hypothèse n'a rien d'une nécessité : il n'est pas exclu que ces résultats aient fait l'objet d'une sur-interprétation, les effets de technologies nouvelles étant généralement surestimés sur le court terme.
Conclusion :
J’ignore dans quelle mesure les actuels historiens des sciences se sont penchés sur le vaste corpus bibliographique produit par les ingénieurs et les biophysiciens soviétiques. Il n’est pas douteux qu’une telle étude soit captivante. Etant donné l’ampleur de ce travail et le niveau de qualification requis pour l’effectuer, les remarques que je partage ici à la volée ne doivent être considérées que comme des ébauches, des hypothèses. Quant à mes conclusions, leur portée reste superficielle. La rigueur et la profondeur d’analyse m’échappent nécessairement par manque de temps, de connaissances et de moyens. Aussi suis-je ouvert à toute discussion susceptible d’éclairer ma lanterne. Ah si j’avais plus de temps devant moi … j’aurais aussi sûrement plus de flemme ;-)
Dans l’ensemble, les pages de ce rapport sont d’un cynisme extrême et le ton oscille en permanence entre l’horrible et le comique. J’en veux pour preuve ce dernier extrait, qui témoigne d’un pragmatisme et d’un conservatisme peut-être typiquement militaires. A leur manière, les auteurs pointent une cause probable d’abandon des recherches sur le contrôle du cerveau Humain à distance. En effet, il existait déjà en 1988 un ensemble de techniques bien plus simples et ô combien plus efficaces : "Il ne faut pas que la nature apparemment exotique de ces effet nous fasse oublier que la musique rock, les mauvais films et les programmes de télévision débiles du nouveau paysage audiovisuel français, le fameux "PAF", constituent aussi une manipulation psychologique par signaux électromagnétiques ..."
A bon entendeur.
Références :
[2] https://www.cia.gov/library/readingroom/document/cia-rdp9600787r000500080001-0
[3] Ferraresi C. et. al. "Low-level laser (light) therapy (LLLT) on muscle tissue: performance, fatigue and repair benefited by the power of light", Photonics Lasers Med. 2012 Nov 1;1(4):267-286.
[4] Coelho Cde F. et. al. "Effectiveness of phototherapy incorporated into an exercise program for osteoarthritis of the knee: study protocol for a randomized controlled trial.", 2014 Jun 11;15:221. doi: 10.1186/1745-6215-15-221.
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