Kate Winslet a des choses à vous dire sur l'idéologie technocratique. La suite va vous étonner. |
Notes de lectures prises à la
volée sur un texte aujourd'hui fondamentalement subversif. Les derniers paragraphes sont particulièrement
pertinents pour comprendre les crises actuelles. Et il y a Kate Winslet.
Malgré trois premiers chapitres difficile,
aux phrases longues et tortueuses, cet ouvrage est essentiel pour comprendre
les liens profonds qui unissent structurellement les technosciences modernes au
système capitaliste néo-libéral et ce qu’est la domination technocratique.
Essai numéro 1 : la technique et la science comme "idéologie"
- I -
Pour commencer, quelques
définitions fondamentales. Il faut s’attendre en trouver beaucoup tout au long
du texte, dont le style froid et la rigueur extrême rappellent que nous avons affaire
ici à un sociologue Allemand du XXème siècle.
D'après Max Weber, la rationalité
caractérise la forme capitaliste de l'activité économique, la forme bourgeoise
des échanges au niveau du droit privé et la forme bureaucratique de la
domination. La rationalisation désigne l'extension des domaines de la société
qui sont soumis aux critères de décision rationnelle mais aussi une
industrialisation du travail social, toutes deux issues de
l'institutionnalisation du progrès scientifique et technique.
L'activité rationnelle par
rapport à une fin est, en vertu de sa structure même, l'exercice d'un contrôle.
Elle exige donc un type d'activité impliquant la domination soit sur la nature
soit sur la société. "La rationalité de la domination se mesure au fait
que se trouve maintenu un système qui peut se permettre de faire de
l'augmentation des forces productives, couplée avec le progrès scientifique et
technique, le fondement de sa légitimation, bien que par ailleurs l'état de
développement où sont parvenues ces forces productives indique précisément
aussi le potentiel à comparaison duquel les charges et les frustrations
imposées aux individus apparaissent de plus en plus inutiles et
irrationnelles". La rationalité
est donc à la fois une mesure de développement des forces productives mais
aussi une mesure de justification de son propre cadre institutionnel. Ainsi, "la
rationalité de la science, déjà déformée dans le sens du capitalisme, retire à
la technique moderne l'innocence d'une pure et simple force productive".
- II -
Il existe un lien immanent
entre la technique et la structure de l'activité rationnelle par rapport à une
fin. L'histoire de la technique montre que l'espèce humaine, par un
instinct peut-être fondateur de la civilisation, développe son activité
rationnelle par rapport à une fin et contrôlée par son succès sur le modèle du
travail : ce sont d'abord les fonctions de locomotion de l'organisme humain qui
sont renforcées, remplacées et automatisées. Puis les fonctions de l'appareil
sensoriel et enfin celles du centre de commande, le cerveau. La technique
est donc un donné anthropologique qui ne peut dépasser le stade de
l'automatisation la plus complète possible des prestations humaines puisque,
par construction, il n'en existe pas d'extérieur ou d'alternative. L'auteur cite
Marcuse pour introduire le fait que ce donné anthropologique n'est cependant
pas neutre, ni même innocent, car "l'a priori technologique est un a
priori politique dans la mesure où la transformation de la nature implique
celle de l'homme, dans la mesure où les choses créées par l'homme émanent d'un
ensemble social et où elles y retournent".
- III -
On aborde ici la modélisation
conceptuelle des changements institutionnels imposés par l'extension des
sous-systèmes d’activité rationnelle par rapport à une fin, c'est-à-dire
l'extension du travail. La définition donnée par l’auteur de ces deux concepts
jumeaux est la suivante : "ou bien une activité instrumentale, ou bien un
choix rationnel ou bien encore une combinaison des deux". D'un autre côté,
l'auteur définit l'activité communicationnelle, c'est-à-dire l’interaction
médiatisée par des symboles, qui se conforme à des normes en vigueur,
définissant des attentes de comportements réciproques. Celles-ci doivent-être
nécessairement comprises et reconnues par deux sujets agissants au moins. On
peut alors distinguer des systèmes sociaux selon qu'y prédomine l'activité par
rapport à une fin (instrumentale ou stratégique) ou l'interaction. Dans le
premier cas, les règles orientant l'action sont des règles techniques définies
dans un langage indépendant du contexte et par des prévisions conditionnelles,
des impératifs. Ces règles sont acquises par apprentissage des différents
savoir-faire. La fonction de ce type d'action est la résolution de problèmes
c'est-à-dire la réalisation d'un objectif défini en termes de relation
moyens-fins. En cas de violation de la règle, c'est simplement l'insuccès,
l'échec devant la réalité. Dans ce cas la rationalisation se caractérise par un
accroissement des forces productives et une extension du pouvoir de disposer
techniquement des choses. Dans le second cas, celui du cadre institutionnel
caractérisé par des interactions médiatisées par des symboles, les règles
orientant l'action sont des normes sociales, définies dans le langage courant
intersubjectif par des attentes de comportements réciproques et apprises par
intériorisation de certains rôles. La fonction de ce type d'action et de
maintenir les institutions conformes aux normes sur la base d'un renforcement
réciproque. Dans ce cas, la rationalisation s'exprime par l'émancipation et
l'individualisation.
- IV -
Commençons par rappeler qu'une
société traditionnelle se définit entre autre par l'existence, dans son cadre
institutionnel, d'une vision du monde centrale (mythe, religion ...) dont le
but est de légitimer la domination en vigueur. D'un autre côté, les
civilisations évoluées sont établies sur la base d'une technique développée et
de la division du travail permettant un excédent de production. Elles
doivent leur existence à la solution d'un problème qui ne se pose qu'avec
l'apparition du surplus de production : celui de la répartition du travail et
des richesses selon des critères permettant un partage à la fois inégal et
pourtant légitime. Dans les sociétés traditionnelles, le savoir technique
n'atteint jamais un niveau de rationalité qui pourrait devenir une menace pour
l'autorité des traditions culturelles légitimant la domination. Lorsque cette
autorité est attaquée par la critique alors la société franchi le seuil de la
modernisation. Lorsque c’est le cas, "la rationalité des jeux de langage
liés aux activités de communication se trouve confrontée à une rationalité des
relations entre la fin et les moyens qui est liée aux activités instrumentales
et stratégiques. Dès lors que cette confrontation devient possible, c'est la
fin de la société traditionnelle". Le mécanisme de l'évolution
historique de l'espèce humaine est caractérisé par le fait qu'un changement
structurel du cadre institutionnel soit imposé par la pression des forces
productives. Ce qui est nouveau, c'est le niveau constant de développement des
forces productives qui rend permanente l'expansion des sous-systèmes d'activité
rationnelle par rapport à une fin, remettant ainsi en question la légitimation
de la domination par une interprétation cosmologique du monde qui est le propre
des civilisations. Le capitalisme offre une légitimation de la domination qui
ne descend pas du Ciel mais qui s'établit sur la base du travail. Il exerce
d'une part une pression "par le bas" qui entraîne les individus à
passer à tout moment d'une relation d'interaction à une activité rationnelle
par rapport à une fin et d'autre part une pression de rationalisation
"par le haut", lorsque les traditions légitimant la domination perdent
leur caractère contraignant en se trouvant mesurées aux critères nouveaux de la
rationalité par rapport à une fin. C'est ainsi que les idéologies
remplacent les légitimations traditionnelles en se réclamant de la science
moderne et en se justifiant elles-mêmes en tant que critiques de l'idéologie.
Par exemple, c'est à partir de la fin du XIXème siècle, avec l'apparition de
l'interdépendance entre science et technique, que la science moderne a commencé
à contribuer à l'accélération du développement technique et donc à une pression
de rationalisation par le bas. De plus, la physique moderne utilise une
interprétation philosophique qui rend compte concurremment de la nature et de
la société à partir de la vision mécaniste du monde. Sur cette vision sera
fondée la reconstruction du droit naturel classique bourgeois, à la base des
révolutions qui ont définitivement aboli les légitimations anciennes de la
domination.
Note de lecture : Il semble qu'il y ait un sens moderne au mot travail, celui
de Habermas : c’est l'activité rationnelle par rapport à une fin. Il y a
également un sens anthropologique profond, celui de Hannah Arendt : l'activité
cyclique dont le résultat, permettant de subvenir aux besoins naturels, est
perpétuellement consommé (détruit) à l'issue de sa production. Le travail est
donc sans fin : il n’a pas de but stratégique ou instrumental et doit être
continuellement renouvelé. Ce processus inhérent à la perpétuation de la
condition humaine se distingue, chez Arendt, de l'Œuvre, car cette dernière
laisse des résultats durables qui viennent constituer un monde d'objets avec
lesquels les Hommes pourront interagir. Dans la modernité, c'est donc l'idée
d'une fin en soi dans le travail qui semble nouvelle.
L'autorité traditionnelle se justifie parce qu'elle propose des réponses aux questions concernant les principaux problèmes de l'humanité relatifs à la vie en collectivité et à la destinée individuelle. Elle aborde les thèmes de la Justice, la Liberté, la violence, le bonheur, la mort, l'amour, l'éthique. L'idéologie capitaliste, quant à elle, se justifie par le travail et pour le travail. Ceci doit être mis en relation avec la remarque de Hannah Arendt au frontispice de l'introduction de la condition de l'homme moderne : une société de travailleurs libérés du travail est ce qu'on peut imaginer de pire. Dans la modernité, cela revient en effet à une société dénuée de fondement idéologique et traditionnel, exempte de tout donné anthropologique de justification de la domination et d'établissement de structures de pouvoir au niveau civilisationnel. Par ailleurs, on remarque que le travail, en tant qu'activité rationnelle par rapport à une fin, justifie d'autant mieux le capitalisme qu'il arrive à ses fins. Or, le travail arrive d'autant mieux à ses fins qu'il est rationnellement organisé, scientifiquement planifié et exécuté. L'organisation scientifique du travail, sa rationalisation, se nomme division scientifique du travail. Autrement dit, plus les résultats du travail sont à même d'être perçus concrètement grâce à cette efficacité accrue obtenue en le rationalisant, plus le travail est à même d'être comparé victorieusement aux modes de justification traditionnels et donc de les faire disparaître. On voit alors que la rationalité scientifique est un organe essentiel de justification de la domination capitaliste. La science et la technique sont donc au cœur de l'idéologie, car elles se sont invitées dans nos valeurs et en particulier dans le travail moderne, devenu central dans notre société.
L'autorité traditionnelle se justifie parce qu'elle propose des réponses aux questions concernant les principaux problèmes de l'humanité relatifs à la vie en collectivité et à la destinée individuelle. Elle aborde les thèmes de la Justice, la Liberté, la violence, le bonheur, la mort, l'amour, l'éthique. L'idéologie capitaliste, quant à elle, se justifie par le travail et pour le travail. Ceci doit être mis en relation avec la remarque de Hannah Arendt au frontispice de l'introduction de la condition de l'homme moderne : une société de travailleurs libérés du travail est ce qu'on peut imaginer de pire. Dans la modernité, cela revient en effet à une société dénuée de fondement idéologique et traditionnel, exempte de tout donné anthropologique de justification de la domination et d'établissement de structures de pouvoir au niveau civilisationnel. Par ailleurs, on remarque que le travail, en tant qu'activité rationnelle par rapport à une fin, justifie d'autant mieux le capitalisme qu'il arrive à ses fins. Or, le travail arrive d'autant mieux à ses fins qu'il est rationnellement organisé, scientifiquement planifié et exécuté. L'organisation scientifique du travail, sa rationalisation, se nomme division scientifique du travail. Autrement dit, plus les résultats du travail sont à même d'être perçus concrètement grâce à cette efficacité accrue obtenue en le rationalisant, plus le travail est à même d'être comparé victorieusement aux modes de justification traditionnels et donc de les faire disparaître. On voit alors que la rationalité scientifique est un organe essentiel de justification de la domination capitaliste. La science et la technique sont donc au cœur de l'idéologie, car elles se sont invitées dans nos valeurs et en particulier dans le travail moderne, devenu central dans notre société.
- V -
Depuis la fin du XIXème siècle,
on assiste à une interdépendance croissante de la recherche de la technique qui
fait que, dans les pays les plus avancés du capitalisme, les sciences
représentent la force productive la plus importante. L'une des thèses
fondamentales de Herbert Marcuse est que ce sont aujourd'hui la science et
la technique qui assument la fonction de légitimation de la domination.
Étant donné que l'activité de l'État est d'assurer la stabilité et la
croissance du système économique, "la politique prend un caractère
négatif : elle oriente son action de façon à éliminer les
dysfonctionnements, à éviter les risques susceptibles de mettre le système en
danger, et non pas de façon à réaliser des finalités pratiques mais à trouver
des solutions aux questions d'ordre technique". Auparavant, la
domination politique tirait sa légitimité de l'idée d'une "vie
bonne", dont les interprétations étaient tournées vers des relations
d'interaction. De nos jours, la politique a été remplacée par la
programmation d'un système faisant l'objet d'un guidage. "Elle évacue
les problèmes d'ordre pratique et, avec elle par conséquent, la discussion
concernant l'adoption de critères qui ne deviendraient accessibles qu'avec la
formation démocratique d'une volonté politique. La solution des problèmes
techniques échappe à la discussion publique". Celle-ci risquerait en
effet de remettre en question les conditions qui définissent le système
présentant l'action de l'État comme des tâches techniques. "C'est pourquoi
la nouvelle politique de l'interventionnisme étatique exige une dépolitisation
de la grande masse de la population. Dans la même mesure où sont éliminés les
problèmes d'ordre pratique, l'opinion publique perd sa fonction
politique". Cet état de choses laisse insatisfait un besoin capital de
légitimation, et pose la question de savoir comment rendre plausible aux
yeux des masses leurs propres dépolitisation. La réponse de Marcuse pourrait
être : la science et la technique assument aussi le rôle d'une idéologie.
- VI -
Depuis la fin du XIXème siècle, la
"scientificisation" de la technique est une autre tendance caractérisant
le capitalisme avancé. Celui-ci a certes toujours tiré parti de
l'accroissement de la productivité dû à l'introduction de techniques nouvelles,
mais jusqu’alors les innovations dépendaient de découvertes isolées marquées
par un caractère de spontanéité naturelle et subie. L'idée d'une technique
comme science appliquée est marginale dans l'histoire de l'humanité : elle
ne concerne que la physique depuis le dernier quart du XIXème siècle.
Aujourd'hui, le développement technique est entré dans une relation de
rétroaction avec le progrès des sciences modernes : la science, la technique et
la mise en valeur industrielle sont désormais intégrées en un seul et même
système de grande échelle. Sciences et techniques deviennent alors la force
productive principale puisque sur elles repose la variable la plus importante
du système : la croissance économique. "Il en résulte une perspective
selon laquelle l'évolution du système social paraît être déterminée par la logique du progrès scientifique et
technique. La dynamique immanente à
ce progrès semble produire des contraintes objectives auxquelles doit se
conformer une politique répondant à des besoins fonctionnels. Or, une fois que
cette illusion s'est effectivement bien implantée, la propagande peut invoquer
le rôle de la science et de la technique pour expliquer et légitimer les
raisons pour lesquelles, dans les sociétés modernes, un processus de formation
démocratique de la volonté politique concernant les questions de la pratique
"doit" nécessairement perdre toute fonction et céder la place aux
décisions de nature plébiscitaire concernant des alternatives mettant tel ou
tel personnel administratif à la tête
de l'État". C'est la thèse de la technocratie. La domination de
l'État autoritaire subit alors une lente érosion face aux "obligations
manipulatrices d'une administration technicisée et opératoire".
Note de lecture : Le travail selon Hannah Arendt est sans fin, c'est-à-dire sans
autre but que celui de la nécessité biologique anthropologique. Dans la société
technocratique, il est remplacé par la régulation du système capitaliste qui
devient une fin en soi. En vue de cette fin, la technique est utilisée comme un
moyen d'augmenter la croissance économique, car c’est la condition du
capitalisme que de croître indéfiniment. D'où le terme d'activité rationnelle
par rapport à une fin pour parler du travail moderne.
- VII -
Le conflit est inhérent à la
société capitaliste, à cause de la mise en valeur du capital dans l'économie
privée. Cependant, le capitalisme avancé est précisément défini par une
politique qui assure l'évitement des conflits grâce à la loyauté des masses,
par des gratifications compensatrices. Concernant la conscience technocratique,
elle est "moins idéologique que toutes les idéologies antérieures, car
elle n'a pas la puissance opaque d'un aveuglement qui se contente de donner
l'illusion d'une satisfaction des intérêts". De plus, l'idéologie
moderne qui fétichise la science tire son attractivité de ce qu'elle
"affecte l'intérêt émancipatoire de l'espèce dans son ensemble". Cette
nouvelle idéologie dégage donc complètement de la vie collective les critères
de sa propre justification, c'est-à-dire règles normatives de l'interaction.
"En ce sens, elle les dépolitise et, au lieu de cela, les ramène aux
fonctions d'un système subordonné d'activité rationnelle par rapport à une
fin". (p.57) "Les modèles réifiés qui sont ceux des sciences passent
dans le monde vécu socioculturel et acquièrent un pouvoir objectif sur la
conception qu'il se fait de lui-même". (p.58) Cette auto objectivation
des hommes selon les catégories de l'activité rationnelle par rapport à une fin
est propre à l'idéologie technocratique. Elle va à l'encontre d'une condition
fondamentale de notre existence culturelle, celle du maintien d'une
intersubjectivité, de la socialisation et de l'individuation, établies par le
langage courant. La conscience
technocratique fait disparaître l'intérêt pratique d'une communication exempte
de domination derrière celui que nous avons à élargir notre pouvoir de disposer
techniquement des choses. Ainsi, le noyau idéologique de la conscience
technocratique est "l'élimination de la différence entre la pratique et la
technique".
- VIII -
L'auteur avance que, lors d'une
longue période initiale s'étendant jusqu'à la fin du Mésolithique, les
activités rationnelles par rapport à une fin n'avaient d'autre motivation
qu'une liaison rituelle avec les interactions. "L'activité rationnelle par
rapport à une fin représente la forme d'adaptation active qui distingue
l'auto-conservation collective des sujets socialisés d'avec la conservation
naturelle de telle ou telle espèce animale. Nous savons comment maîtriser les
conditions d'existence qui nous intéressent, c'est-à-dire comment adapter
culturellement notre milieu à nos besoins, au lieu de nous contenter de nous
adapter à la nature extérieure". (p.62). Il y a un rapport
disproportionné entre l'adaptation passive du cadre institutionnel et
l'asservissement actif de la nature. D'où la phrase célèbre selon laquelle ce
sont les Hommes qui font leur histoire mais ni consciemment ni volontairement.
Note de lecture : Cela
rappelle la conception de l'Histoire chez Hannah Arendt.
Le propre de l'idéologie
technocratique est de voir ce rapport asymétrique comme un problème d'ordre
technique et de chercher à "contrôler la société de la même manière que la
nature, en la reconstruisant selon le modèle des systèmes autorégulés de
l'activité rationnelle par rapport à une fin et du comportement
adaptatif". (p.64). Cependant, le cadre institutionnel qui est un ensemble
d'interactions médiatisées par le langage courant ne peut pas se réduire
d'après le modèle des systèmes d'activités rationnelles par rapport à une fin,
ou seulement au prix de la perte de cette dimension essentielle d'humanisation.
L'auteur pressent que dans l'avenir, le répertoire des techniques de
contrôle puisse connaître un accroissement considérable. Le comportement
humain, détaché de tout système de norme liée à la grammaire des jeux de
langage serait intégré dans des systèmes autorégulés de type homme-machine en
étant soumis à un contrôle physique ou a une influence psychologique directs. Il
est cependant impossible d'effectuer de telles prévisions avec exactitude car
le type de discours collectif permettant de répondre à ces questions est
fondamentalement politique. Or, le capitalisme avancé a structurellement besoin
d'une opinion publique dépolitisée et montre donc une résistance nette à ce
type de communication.
- IX -
Dans cette partie, l'auteur
montre pourquoi et comment la protestation des étudiants pourrait détruire
durablement l'idéologie capitaliste, qui ne tient plus que grâce à la
dépolitisation des masses, dans un monde où les conditions techniques et
organisationnelles de production des richesses font qu'il est de plus en plus
difficile d'établir une liaison convaincante entre l'assignation d'un statut et
l'évaluation des performances individuelles.
Note de lecture et conclusion : La rationalisation, en tant qu'application des techniques de guidage du système capitaliste, semble aller à rebours de la conception
politique de la liberté selon Hannah Arendt. En effet, d'une part en
dépolitisant les masses, et d'autre part en segmentant, en linéarisant et en
normalisant les actions et les trajectoires humaines, la rationalisation, qui autorise la souveraineté d'une élite technocratique,
s'oppose à un certain principe d'émergence dynamique consubstantiel à la
liberté. S’il existe des critiques littéraires, des critiques musicaux, des
critiques d'art il n’y a (presque) aucun critique de sciences. Ce n'est
pourtant pas le matériau qui manque. Cette asymétrie marque aussi le caractère
idéologique des technosciences modernes et même d’idéologie dominante :
celles-ci se distinguent en effet par leur position incritiquable et passent généralement
pour transparentes, neutres. C'est le propre d'une idéologie dominante.
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