samedi 5 mai 2018

Jürgen Habermas, "La technique et la science comme idéologie" (feat. Kate Winslet)

Kate Winslet, Jurgen Habermas, la technique et la science comme idéologie.
Kate Winslet a des choses à vous dire sur l'idéologie technocratique. La suite va vous étonner.
Notes de lectures prises à la volée sur un texte aujourd'hui fondamentalement subversif. Les derniers paragraphes sont particulièrement pertinents pour comprendre les crises actuelles. Et il y a Kate Winslet.
Jürgen Habermas dans La technique et la science comme "idéologie", trad. Jean-René Ladmiral Gallimard, 1973, Paris.


Kate Winslet eternal sunshine, Jurgen Habermas, la technique et la science comme idéologie.
A la différence de Nieztsche ou Hannah Arendt, Jurgen Habermas (né 1929) n’est guère photogénique (si vous ne me croyez pas allez voir sa page wikipédia). Son portrait vous sera donc épargné et remplacé par une photo de Kate Winslet (avec ses merveilleux cheveux rouges dans Eternal sunshine … ). Déjà que le texte original est aride, je voudrais au moins essayer d’attirer l’attention sur cet article. De plus, la citation du personnage de Clementine (Kate Winslet dans Eternal sunshine …) s’applique parfaitement (en forçant juste un peu...) à la domination technocratique. Désolé pour toutes ces parenthèses. Vous êtes tombé dans un piège. Maintenant vous devez lire cet article constitué uniquement de notes de travail mal prises, dans un style totalement indigeste.
Malgré trois premiers chapitres difficile, aux phrases longues et tortueuses, cet ouvrage est essentiel pour comprendre les liens profonds qui unissent structurellement les technosciences modernes au système capitaliste néo-libéral et ce qu’est la domination technocratique.


Essai numéro 1 : la technique et la science comme "idéologie"


- I -

Pour commencer, quelques définitions fondamentales. Il faut s’attendre en trouver beaucoup tout au long du texte, dont le style froid et la rigueur extrême rappellent que nous avons affaire ici à un sociologue Allemand du XXème siècle.
D'après Max Weber, la rationalité caractérise la forme capitaliste de l'activité économique, la forme bourgeoise des échanges au niveau du droit privé et la forme bureaucratique de la domination. La rationalisation désigne l'extension des domaines de la société qui sont soumis aux critères de décision rationnelle mais aussi une industrialisation du travail social, toutes deux issues de l'institutionnalisation du progrès scientifique et technique.
L'activité rationnelle par rapport à une fin est, en vertu de sa structure même, l'exercice d'un contrôle. Elle exige donc un type d'activité impliquant la domination soit sur la nature soit sur la société. "La rationalité de la domination se mesure au fait que se trouve maintenu un système qui peut se permettre de faire de l'augmentation des forces productives, couplée avec le progrès scientifique et technique, le fondement de sa légitimation, bien que par ailleurs l'état de développement où sont parvenues ces forces productives indique précisément aussi le potentiel à comparaison duquel les charges et les frustrations imposées aux individus apparaissent de plus en plus inutiles et irrationnelles".  La rationalité est donc à la fois une mesure de développement des forces productives mais aussi une mesure de justification de son propre cadre institutionnel. Ainsi, "la rationalité de la science, déjà déformée dans le sens du capitalisme, retire à la technique moderne l'innocence d'une pure et simple force productive".



- II -


Il existe un lien immanent entre la technique et la structure de l'activité rationnelle par rapport à une fin. L'histoire de la technique montre que l'espèce humaine, par un instinct peut-être fondateur de la civilisation, développe son activité rationnelle par rapport à une fin et contrôlée par son succès sur le modèle du travail : ce sont d'abord les fonctions de locomotion de l'organisme humain qui sont renforcées, remplacées et automatisées. Puis les fonctions de l'appareil sensoriel et enfin celles du centre de commande, le cerveau. La technique est donc un donné anthropologique qui ne peut dépasser le stade de l'automatisation la plus complète possible des prestations humaines puisque, par construction, il n'en existe pas d'extérieur ou d'alternative. L'auteur cite Marcuse pour introduire le fait que ce donné anthropologique n'est cependant pas neutre, ni même innocent, car "l'a priori technologique est un a priori politique dans la mesure où la transformation de la nature implique celle de l'homme, dans la mesure où les choses créées par l'homme émanent d'un ensemble social et où elles y retournent".

- III -


On aborde ici la modélisation conceptuelle des changements institutionnels imposés par l'extension des sous-systèmes d’activité rationnelle par rapport à une fin, c'est-à-dire l'extension du travail. La définition donnée par l’auteur de ces deux concepts jumeaux est la suivante : "ou bien une activité instrumentale, ou bien un choix rationnel ou bien encore une combinaison des deux". D'un autre côté, l'auteur définit l'activité communicationnelle, c'est-à-dire l’interaction médiatisée par des symboles, qui se conforme à des normes en vigueur, définissant des attentes de comportements réciproques. Celles-ci doivent-être nécessairement comprises et reconnues par deux sujets agissants au moins. On peut alors distinguer des systèmes sociaux selon qu'y prédomine l'activité par rapport à une fin (instrumentale ou stratégique) ou l'interaction. Dans le premier cas, les règles orientant l'action sont des règles techniques définies dans un langage indépendant du contexte et par des prévisions conditionnelles, des impératifs. Ces règles sont acquises par apprentissage des différents savoir-faire. La fonction de ce type d'action est la résolution de problèmes c'est-à-dire la réalisation d'un objectif défini en termes de relation moyens-fins. En cas de violation de la règle, c'est simplement l'insuccès, l'échec devant la réalité. Dans ce cas la rationalisation se caractérise par un accroissement des forces productives et une extension du pouvoir de disposer techniquement des choses. Dans le second cas, celui du cadre institutionnel caractérisé par des interactions médiatisées par des symboles, les règles orientant l'action sont des normes sociales, définies dans le langage courant intersubjectif par des attentes de comportements réciproques et apprises par intériorisation de certains rôles. La fonction de ce type d'action et de maintenir les institutions conformes aux normes sur la base d'un renforcement réciproque. Dans ce cas, la rationalisation s'exprime par l'émancipation et l'individualisation.


Kate Winslet eternal sunshine, Jurgen Habermas, la technique et la science comme idéologie.
Vous êtes arrivé jusque là, le plus dur est passé, bravo. Pour vous féliciter, une photo de Kate Winslet (avec ses magnifiques cheveux bleus dans Eternal sunshine ...) en train de lire La technique et la science comme "idéologie" de Jürgen Habermas.

- IV -


Commençons par rappeler qu'une société traditionnelle se définit entre autre par l'existence, dans son cadre institutionnel, d'une vision du monde centrale (mythe, religion ...) dont le but est de légitimer la domination en vigueur. D'un autre côté, les civilisations évoluées sont établies sur la base d'une technique développée et de la division du travail permettant un excédent de production. Elles doivent leur existence à la solution d'un problème qui ne se pose qu'avec l'apparition du surplus de production : celui de la répartition du travail et des richesses selon des critères permettant un partage à la fois inégal et pourtant légitime. Dans les sociétés traditionnelles, le savoir technique n'atteint jamais un niveau de rationalité qui pourrait devenir une menace pour l'autorité des traditions culturelles légitimant la domination. Lorsque cette autorité est attaquée par la critique alors la société franchi le seuil de la modernisation. Lorsque c’est le cas, "la rationalité des jeux de langage liés aux activités de communication se trouve confrontée à une rationalité des relations entre la fin et les moyens qui est liée aux activités instrumentales et stratégiques. Dès lors que cette confrontation devient possible, c'est la fin de la société traditionnelle". Le mécanisme de l'évolution historique de l'espèce humaine est caractérisé par le fait qu'un changement structurel du cadre institutionnel soit imposé par la pression des forces productives. Ce qui est nouveau, c'est le niveau constant de développement des forces productives qui rend permanente l'expansion des sous-systèmes d'activité rationnelle par rapport à une fin, remettant ainsi en question la légitimation de la domination par une interprétation cosmologique du monde qui est le propre des civilisations. Le capitalisme offre une légitimation de la domination qui ne descend pas du Ciel mais qui s'établit sur la base du travail. Il exerce d'une part une pression "par le bas" qui entraîne les individus à passer à tout moment d'une relation d'interaction à une activité rationnelle par rapport à une fin et d'autre part une pression de rationalisation "par le haut", lorsque les traditions légitimant la domination perdent leur caractère contraignant en se trouvant mesurées aux critères nouveaux de la rationalité par rapport à une fin. C'est ainsi que les idéologies remplacent les légitimations traditionnelles en se réclamant de la science moderne et en se justifiant elles-mêmes en tant que critiques de l'idéologie. Par exemple, c'est à partir de la fin du XIXème siècle, avec l'apparition de l'interdépendance entre science et technique, que la science moderne a commencé à contribuer à l'accélération du développement technique et donc à une pression de rationalisation par le bas. De plus, la physique moderne utilise une interprétation philosophique qui rend compte concurremment de la nature et de la société à partir de la vision mécaniste du monde. Sur cette vision sera fondée la reconstruction du droit naturel classique bourgeois, à la base des révolutions qui ont définitivement aboli les légitimations anciennes de la domination.

Note de lecture : Il semble qu'il y ait un sens moderne au mot travail, celui de Habermas : c’est l'activité rationnelle par rapport à une fin. Il y a également un sens anthropologique profond, celui de Hannah Arendt : l'activité cyclique dont le résultat, permettant de subvenir aux besoins naturels, est perpétuellement consommé (détruit) à l'issue de sa production. Le travail est donc sans fin : il n’a pas de but stratégique ou instrumental et doit être continuellement renouvelé. Ce processus inhérent à la perpétuation de la condition humaine se distingue, chez Arendt, de l'Œuvre, car cette dernière laisse des résultats durables qui viennent constituer un monde d'objets avec lesquels les Hommes pourront interagir. Dans la modernité, c'est donc l'idée d'une fin en soi dans le travail qui semble nouvelle. 
L'autorité traditionnelle se justifie parce qu'elle propose des réponses aux questions concernant les principaux problèmes de l'humanité relatifs à la vie en collectivité et à la destinée individuelle. Elle aborde les thèmes de la Justice, la Liberté, la violence, le bonheur, la mort, l'amour, l'éthique. L'idéologie capitaliste, quant à elle, se justifie par le travail et pour le travail. Ceci doit être mis en relation avec la remarque de Hannah Arendt au frontispice de l'introduction de la condition de l'homme moderne : une société de travailleurs libérés du travail est ce qu'on peut imaginer de pire. Dans la modernité, cela revient en effet à une société dénuée de fondement idéologique et traditionnel, exempte de tout donné anthropologique de justification de la domination et d'établissement de structures de pouvoir au niveau civilisationnel. Par ailleurs, on remarque que le travail, en tant qu'activité rationnelle par rapport à une fin, justifie d'autant mieux le capitalisme qu'il arrive à ses fins. Or, le travail arrive d'autant mieux à ses fins qu'il est rationnellement organisé, scientifiquement planifié et exécuté. L'organisation scientifique du travail, sa rationalisation, se nomme division scientifique du travail. Autrement dit, plus les résultats du travail sont à même d'être perçus concrètement grâce à cette efficacité accrue obtenue en le rationalisant, plus le travail est à même d'être comparé victorieusement aux modes de justification traditionnels et donc de les faire disparaître. On voit alors que la rationalité scientifique est un organe essentiel de justification de la domination capitaliste. La science et la technique sont donc au cœur de l'idéologie, car elles se sont invitées dans nos valeurs et en particulier dans le travail moderne, devenu central dans notre société.

- V -


Depuis la fin du XIXème siècle, on assiste à une interdépendance croissante de la recherche de la technique qui fait que, dans les pays les plus avancés du capitalisme, les sciences représentent la force productive la plus importante. L'une des thèses fondamentales de Herbert Marcuse est que ce sont aujourd'hui la science et la technique qui assument la fonction de légitimation de la domination. Étant donné que l'activité de l'État est d'assurer la stabilité et la croissance du système économique, "la politique prend un caractère négatif : elle oriente son action de façon à éliminer les dysfonctionnements, à éviter les risques susceptibles de mettre le système en danger, et non pas de façon à réaliser des finalités pratiques mais à trouver des solutions aux questions d'ordre technique". Auparavant, la domination politique tirait sa légitimité de l'idée d'une "vie bonne", dont les interprétations étaient tournées vers des relations d'interaction. De nos jours, la politique a été remplacée par la programmation d'un système faisant l'objet d'un guidage. "Elle évacue les problèmes d'ordre pratique et, avec elle par conséquent, la discussion concernant l'adoption de critères qui ne deviendraient accessibles qu'avec la formation démocratique d'une volonté politique. La solution des problèmes techniques échappe à la discussion publique". Celle-ci risquerait en effet de remettre en question les conditions qui définissent le système présentant l'action de l'État comme des tâches techniques. "C'est pourquoi la nouvelle politique de l'interventionnisme étatique exige une dépolitisation de la grande masse de la population. Dans la même mesure où sont éliminés les problèmes d'ordre pratique, l'opinion publique perd sa fonction politique". Cet état de choses laisse insatisfait un besoin capital de légitimation, et pose la question de savoir comment rendre plausible aux yeux des masses leurs propres dépolitisation. La réponse de Marcuse pourrait être : la science et la technique assument aussi le rôle d'une idéologie.

- VI -


Depuis la fin du XIXème siècle, la "scientificisation" de la technique est une autre tendance caractérisant le capitalisme avancé. Celui-ci a certes toujours tiré parti de l'accroissement de la productivité dû à l'introduction de techniques nouvelles, mais jusqu’alors les innovations dépendaient de découvertes isolées marquées par un caractère de spontanéité naturelle et subie. L'idée d'une technique comme science appliquée est marginale dans l'histoire de l'humanité : elle ne concerne que la physique depuis le dernier quart du XIXème siècle. Aujourd'hui, le développement technique est entré dans une relation de rétroaction avec le progrès des sciences modernes : la science, la technique et la mise en valeur industrielle sont désormais intégrées en un seul et même système de grande échelle. Sciences et techniques deviennent alors la force productive principale puisque sur elles repose la variable la plus importante du système : la croissance économique. "Il en résulte une perspective selon laquelle l'évolution du système social paraît être déterminée par la logique du progrès scientifique et technique. La dynamique immanente à ce progrès semble produire des contraintes objectives auxquelles doit se conformer une politique répondant à des besoins fonctionnels. Or, une fois que cette illusion s'est effectivement bien implantée, la propagande peut invoquer le rôle de la science et de la technique pour expliquer et légitimer les raisons pour lesquelles, dans les sociétés modernes, un processus de formation démocratique de la volonté politique concernant les questions de la pratique "doit" nécessairement perdre toute fonction et céder la place aux décisions de nature plébiscitaire concernant des alternatives mettant tel ou tel personnel administratif à la tête de l'État". C'est la thèse de la technocratie. La domination de l'État autoritaire subit alors une lente érosion face aux "obligations manipulatrices d'une administration technicisée et opératoire".

Note de lecture : Le travail selon Hannah Arendt est sans fin, c'est-à-dire sans autre but que celui de la nécessité biologique anthropologique. Dans la société technocratique, il est remplacé par la régulation du système capitaliste qui devient une fin en soi. En vue de cette fin, la technique est utilisée comme un moyen d'augmenter la croissance économique, car c’est la condition du capitalisme que de croître indéfiniment. D'où le terme d'activité rationnelle par rapport à une fin pour parler du travail moderne. 

- VII -


Le conflit est inhérent à la société capitaliste, à cause de la mise en valeur du capital dans l'économie privée. Cependant, le capitalisme avancé est précisément défini par une politique qui assure l'évitement des conflits grâce à la loyauté des masses, par des gratifications compensatrices. Concernant la conscience technocratique, elle est "moins idéologique que toutes les idéologies antérieures, car elle n'a pas la puissance opaque d'un aveuglement qui se contente de donner l'illusion d'une satisfaction des intérêts". De plus, l'idéologie moderne qui fétichise la science tire son attractivité de ce qu'elle "affecte l'intérêt émancipatoire de l'espèce dans son ensemble". Cette nouvelle idéologie dégage donc complètement de la vie collective les critères de sa propre justification, c'est-à-dire règles normatives de l'interaction. "En ce sens, elle les dépolitise et, au lieu de cela, les ramène aux fonctions d'un système subordonné d'activité rationnelle par rapport à une fin". (p.57) "Les modèles réifiés qui sont ceux des sciences passent dans le monde vécu socioculturel et acquièrent un pouvoir objectif sur la conception qu'il se fait de lui-même". (p.58) Cette auto objectivation des hommes selon les catégories de l'activité rationnelle par rapport à une fin est propre à l'idéologie technocratique. Elle va à l'encontre d'une condition fondamentale de notre existence culturelle, celle du maintien d'une intersubjectivité, de la socialisation et de l'individuation, établies par le langage courant. La conscience technocratique fait disparaître l'intérêt pratique d'une communication exempte de domination derrière celui que nous avons à élargir notre pouvoir de disposer techniquement des choses. Ainsi, le noyau idéologique de la conscience technocratique est "l'élimination de la différence entre la pratique et la technique".

- VIII -


L'auteur avance que, lors d'une longue période initiale s'étendant jusqu'à la fin du Mésolithique, les activités rationnelles par rapport à une fin n'avaient d'autre motivation qu'une liaison rituelle avec les interactions. "L'activité rationnelle par rapport à une fin représente la forme d'adaptation active qui distingue l'auto-conservation collective des sujets socialisés d'avec la conservation naturelle de telle ou telle espèce animale. Nous savons comment maîtriser les conditions d'existence qui nous intéressent, c'est-à-dire comment adapter culturellement notre milieu à nos besoins, au lieu de nous contenter de nous adapter à la nature extérieure". (p.62). Il y a un rapport disproportionné entre l'adaptation passive du cadre institutionnel et l'asservissement actif de la nature. D'où la phrase célèbre selon laquelle ce sont les Hommes qui font leur histoire mais ni consciemment ni volontairement.

Note de lecture : Cela rappelle la conception de l'Histoire chez Hannah Arendt.

Le propre de l'idéologie technocratique est de voir ce rapport asymétrique comme un problème d'ordre technique et de chercher à "contrôler la société de la même manière que la nature, en la reconstruisant selon le modèle des systèmes autorégulés de l'activité rationnelle par rapport à une fin et du comportement adaptatif". (p.64). Cependant, le cadre institutionnel qui est un ensemble d'interactions médiatisées par le langage courant ne peut pas se réduire d'après le modèle des systèmes d'activités rationnelles par rapport à une fin, ou seulement au prix de la perte de cette dimension essentielle d'humanisation. L'auteur pressent que dans l'avenir, le répertoire des techniques de contrôle puisse connaître un accroissement considérable. Le comportement humain, détaché de tout système de norme liée à la grammaire des jeux de langage serait intégré dans des systèmes autorégulés de type homme-machine en étant soumis à un contrôle physique ou a une influence psychologique directs. Il est cependant impossible d'effectuer de telles prévisions avec exactitude car le type de discours collectif permettant de répondre à ces questions est fondamentalement politique. Or, le capitalisme avancé a structurellement besoin d'une opinion publique dépolitisée et montre donc une résistance nette à ce type de communication.

- IX -


Dans cette partie, l'auteur montre pourquoi et comment la protestation des étudiants pourrait détruire durablement l'idéologie capitaliste, qui ne tient plus que grâce à la dépolitisation des masses, dans un monde où les conditions techniques et organisationnelles de production des richesses font qu'il est de plus en plus difficile d'établir une liaison convaincante entre l'assignation d'un statut et l'évaluation des performances individuelles.

Note de lecture et conclusion : La rationalisation, en tant qu'application des techniques de guidage du système capitaliste, semble aller à rebours de la conception politique de la liberté selon Hannah Arendt. En effet, d'une part en dépolitisant les masses, et d'autre part en segmentant, en linéarisant et en normalisant les actions et les trajectoires humaines, la rationalisation, qui autorise la souveraineté d'une élite technocratique, s'oppose à un certain principe d'émergence dynamique consubstantiel à la liberté. S’il existe des critiques littéraires, des critiques musicaux, des critiques d'art il n’y a (presque) aucun critique de sciences. Ce n'est pourtant pas le matériau qui manque. Cette asymétrie marque aussi le caractère idéologique des technosciences modernes et même d’idéologie dominante : celles-ci se distinguent en effet par leur position incritiquable et passent généralement pour transparentes, neutres. C'est le propre d'une idéologie dominante.


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