mercredi 8 août 2018

Cargo Culte : témoignage et plaidoyer en faveur de l'enseignement de l'épistémologie et de l'histoire des sciences.


Richard Feynman bongo
Richard Feynman (Nobel de Physique 1965) jouant du Bongo

A l’issue de la seconde guerre mondiale, lorsque les troupes Alliées quittèrent leurs bases dans les îles du Pacifique sud, les populations locales, qui les avaient côtoyées et observées, commencèrent à se livrer à d’étranges rituels.
Tout au long des opérations militaires, des quantités mirifiques de matériel et d’équipements de toutes sortes avaient été continument acheminées sur ces îles par d’immenses cargos et par voie aérienne. Isolés de la société occidentale et de ses pratiques, les peuples Mélanésiens furent subjugués par une telle profusion. Ils voyaient l’arrivée des navires et des avions chargés de marchandises mais jamais la fabrication de celles-ci. Sans connaître l’existence du vaste complexe militaro-industriel Américain sous-jacent, ils conclurent que cette abondance matérielle ne pouvait qu’être l’œuvre des dieux que vénéraient leurs visiteurs étrangers. Bientôt, les autochtones se mirent à marcher en formation, des répliques de fusil à l’épaule. Certains essayèrent de recréer les drapeaux et les uniformes militaires qu’ils avaient vu et construisirent même de saisissantes copies d’avions et de pistes d’atterrissage grandeur nature avec les moyens du bord. Ils avaient pris les manœuvres des soldats pour des rituels religieux et tentaient de les imiter dans le but de s’attirer les faveurs divines, espérant ainsi faire revenir les bateaux et les avions qui avaient déchargé tant de matériel sur leurs îles. Ce phénomène, caractéristique de la pensée magique, est aujourd’hui bien connu des anthropologues et porte un nom : le culte du cargo. En 1974, le célèbre physicien Richard Feynman (colauréat du prix Nobel de physique en 1965), prononça un discours inaugural au California Institute of Technology intitulé «cargo cult science» [1]. Avec l’humour et l’originalité qui le caractérisent, il entendait par là mettre en garde les étudiants de la prestigieuse université américaine contre les dérives ésotériques et pseudo-scientifiques de cette époque. Il appelle « cargo cult science » les discours, les croyances et les méthodes qui utilisent à leur crédit l’apparence des pratiques scientifiques sans en avoir les fondements et qui ne sont, pour filer la métaphore, que des simulacres d’avions et de cargos qui ne livreront jamais leur cargaison sur les archipels de la connaissance Humaine. En outre, Feynman précise qu’il y a généralement une chose qui manque aux «cargo cult sciences» et qui, donc, les distinguent de l’authentique savoir scientifique. Une particularité qui n’est jamais vraiment explicitée, et qu’il espère que « nous avons tous apprise en cours de sciences à l’école, ou comprise par nous-mêmes, en nous intéressant à la recherche scientifique ». Il tente de la définir, sans la nommer, en parlant d’honnêteté intellectuelle ou d’intégrité scientifique. Mais à quoi ces mots renvoient-ils exactement ? Quelle résonance peuvent-ils avoir chez les étudiants de Caltech, université d’élite américaine, ou pour un public non scientifique ? Cette constante de l’activité scientifique que cherche Feynman, est-ce la méthode ? Quelle que soit sa nature, nous voyons d'emblée qu'il est particulièrement délicat, même pour l'un des plus grands physiciens de notre temps, de la désigner et de la circonscrire. Il existe en effet une profusion de pratiques que l’on peut regrouper sous l’appellation « sciences », d’où, peut-être, la difficulté d’en obtenir une définition ramassée et unique. À défaut de pouvoir isoler cet invariant qui caractériserait les sciences, pourquoi ne pas alors proposer que celles-ci soient logiquement traversées par une Histoire qui leur conférerait leur unité ? Une histoire commune sur laquelle chaque citoyen fonderait, en connaissance de cause, son rapport aux sciences et aux technologies, devenues centrales dans nos sociétés contemporaines. Parmi toutes les conjectures possibles, un point crucial demeure. Le fait est que la difficulté éprouvée par Feynman à caractériser la particularité scientifique persiste encore largement de nos jours, et ce à presque tous les niveaux d'éducation. Mais cela n'a finalement rien d'étonnant. L'enseignement et la transmission des savoirs scientifiques -en France pour le moins- semblent en effet répondre dans leur ensemble à la définition du culte du cargo : la reproduction naïve d’un processus dont on ne connaitrait ni les fondements, ni le fonctionnement. 
Richard Feynman bongo carnaval
Oui, la personne sur cette photo est bien Richard Feynman, prix Nobel de physique en 1965 pour ses travaux sur l'électrodynamique quantique et certainement l'un des trois plus influents physiciens du XXème siècle. L'homme affectionnait les bongos, le carnaval et les batucadas, pour avoir passé quelque temps au Brésil. Si vous voulez en savoir plus sur son caractère réputé excentrique, je ne peux que vous conseiller son excellente autobiographie intitulée "Surely, you're joking Mr Feynman".

Cargo culte science


J'ai moi-même été un étudiant scientifique enthousiaste. Après un bac S obtenu avec la « mention-sésame » pour les classes préparatoires et les écoles réputées, j’ai choisi d’entrer à l’université pour y passer une licence de physique fondamentale. Dans un contexte favorable aux télécommunications optiques je me suis ensuite spécialisé dans une discipline de la physique plus proche de l’ingénierie : la photonique, qui étudie la lumière et ses applications. C’est dans ce domaine que j’ai ensuite obtenu ma thèse de doctorat.

Tout au long de mon parcours, j’ai eu la chance de pouvoir explorer des aspects variés de la physique classique et contemporaine et, par là-même, de percevoir la profonde unité qui s’en dégage. J’ai pu prendre la mesure de sa dédaléenne immensité, empruntant coursives, corridors et colimaçons sur plusieurs étages de connaissance. Entrant par une porte pour mieux ressortir par une autre –passages secrets insoupçonnés- et enfin déboucher en haut d’un donjon, un petit belvédère scientifique, qui m’offrait un point de vue privilégié sur la foudroyante beauté, l’incomparable et extraordinaire cohérence de l’ensemble. Le colossal choc face au miracle, à la possibilité même de l’existence d’un tel édifice intellectuel. L’admiration sans bornes pour ceux qui contribuèrent à le bâtir, le façonnant de leurs mains et à la sueur de leur front. Magnifique construction Humaine. De là-haut, les yeux comme posés sur une mappemonde, j’ai humblement pris conscience de la multiplicité des possibles et des ailleurs épistémologiques, du long voyage qu’il me restait à parcourir, de tous ces savoirs fantastiques que peut-être je ne côtoierais jamais, mais dont je devinais déjà, au loin, les fragrances exotiques et les musiques enivrantes. « La science ». A ses frontières, le rêve. Sur ses rivages, le chant des sirènes.

Lors de mon cursus scientifique, j’ai fréquenté cinq établissements différents, universités ou écoles d’ingénieurs, et j’ai toujours été passionné par ce que j’étudiais. Mais depuis le commencement de ces études, je ressentais un manque latent. Un manque d’ouverture. Le parcours que j’entreprenais n’assouvirait pas totalement ma curiosité. De fait, j’ai étudié en profondeur des théories dont les applications ont transformé nos vies et notre rapport à la technologie. J’ai appris des théorèmes, des lois, des principes, des équations, des formules, que j’ai mis en pratique au travers de raisonnements qui m’ont permis de mieux comprendre le monde qui nous entoure. Mais ai-je réellement fait de la science ? Et puis, qu’est-ce, au juste, que la science ? Peut-on seulement la définir, comme Feynman tentait de le faire ? Comment la connaissance scientifique s’établit-t-elle ? Où se situe la différence fondamentale entre la pratique de la plomberie et l'application de la théorie des champs quantiques à la détection du boson de Higgs dans un collisionneur de particules ? Ces questions, qui relèvent de l'épistémologie (c'est-à-dire, au sens large, de la philosophie des sciences et de la connaissance) et de l'Histoire des sciences, je ne les ai jamais abordées en classe lors de mes études supérieures. Pourtant, il me semble qu’elles sont essentielles. Je crois en effet que l’activité scientifique et son apprentissage ne peuvent se résumer à l’application de méthodes ou de raisonnements propres à une discipline et aux objets qu’elle étudie : encore faut-il que ceux qui emploient ces méthodes sachent pourquoi ils les emploient et connaissent leur généalogie, car pour bien se développer il est nécessaire de se penser et d’être conscient de sa démarche. Si l'on n'interroge pas, par exemple, l'origine de l'efficacité des mathématiques en physique ou les raisons de l'incroyable pouvoir d'action sur le réel que nous confèrent les technosciences modernes, alors quelle différence reste-t-il entre l'enseignement de l'ingénierie et la pensée magique propre au culte du cargo ? En effet, au cours de leurs cursus, les étudiants ne sont pratiquement jamais amenés à observer leur activité d’apprentis-scientifiques depuis ce que l’on considère à tort comme un extérieur, et qui fait pourtant partie intégrante de leur éducation, à savoir, l’épistémologie et l’Histoire des sciences. En France, on compte sur les doigts d’une main les formations supérieures qui donnent aux étudiants scientifiques la possibilité d’identifier et de questionner, si elle existe, la nature de leur pratique. Certaines universités et école d’ingénieurs proposent, il est vrai, ne serait-ce que durant un seul semestre, des cours d’Histoire et de philosophie des sciences. Quoiqu’encore trop fréquemment présentées sous la forme de modules complémentaires ou d’UE libres, ces introductions représentent autant d’initiatives remarquables qu’il convient de saluer. En particulier, les biologistes, régulièrement attaqués par les tenants du « dessein intelligent » qui remettent en question la théorie Darwinienne de l’évolution des espèces, tendent à être mieux armés épistémologiquement que leurs collègues physiciens, catégorie à laquelle l’auteur de ces lignes appartient [2]. Cela étant, il reste que le système éducatif de notre pays produit dans son immense majorité des ingénieurs, des chercheurs ou des docteurs ès sciences qui peuvent n’avoir jamais officiellement reçu le moindre élément de formation académique au traitement de ces questions essentielles qui engagent notre responsabilité collective, tout en ayant plus vraisemblablement abordé le management, la communication ou la propriété industrielle. Comme nous le verrons dans les lignes qui suivent, cela en dit long sur notre démission des responsabilités qui sont les nôtres, en termes d’écologie, d’éducation et plus globalement au niveau culturel, dans un monde où l’innovation, mantra commun aux technosciences et au libéralisme, est glorifiée comme un projet de société [3].

Donner du sens par l’Histoire


Thomas Kuhn, dans son ouvrage désormais classique, La structure des révolutions scientifiques, déclare dès l’introduction [4] que « l'Histoire, si on la considérait comme autre chose que des anecdotes ou des dates, pourrait transformer de façon décisive l’image de la science dont nous sommes actuellement empreints. Cette image a été tirée en grande partie, même par les scientifiques, de l’étude des découvertes scientifiques, telles qu’elles sont rapportées dans les classiques et plus récemment dans les manuels où chaque nouvelle génération scientifique apprend la pratique de son métier. Il est cependant inévitable que le but de tels livres soit de persuader et d’instruire ; le concept de science qu’on en tirerait n’a pas plus de chances de refléter la recherche qui leur a donné naissance que n’en aurait l’image d’une culture nationale tirée d’un prospectus de tourisme ou d’un manuel de langue.» Donner aux étudiants la possibilité de replacer dans l’Histoire le développement des concepts scientifiques qu’ils emploient leur permettrait donc d’acquérir une conscience culturelle forte tout en donnant un recul, une épaisseur philosophique indispensable à leur future pratique professionnelle, en particulier face aux défis technologiques et sociétaux qui s’annoncent avec la crise écologique que nous traversons. Car placer dans l’Histoire, c’est donner du sens et notamment le sens des responsabilités collectives. De plus, il semble évident qu’un savoir ne puisse acquérir de sens qu’une fois mis en relation avec d’autres formes de connaissances, dans une interprétation critique du contexte socio-historique lui ayant donné naissance. C’est pourquoi l’invitation à s’intéresser à l’épistémologie et à l’Histoire des sciences ne saurait être vécue comme un acte intellectuel onaniste. Au-delà des compétences techniques qui leur sont propres, le chercheur, l’ingénieur et l’étudiant scientifique se doivent d’interroger leur démarche, en acceptant son Histoire, ses protagonistes et ses contradictions internes, afin de ne pas la laisser mourir dans le sur-place du non-dit, du catégorique, de l’habituel. Et ceci n’est nullement contradictoire avec l’établissement d’une connaissance scientifique stable, il s'agit seulement d'une démarche à rebours du tempo que le capital impose à l'éducation en général. Dans cette perspective, le célèbre historien des sciences Alexandre Koyré nous met en garde [5] : « il y aurait danger à ne pas étudier de près la manière dont un Wallis, un Newton, un Leibniz envisageaient eux-mêmes l’histoire de leurs propres découvertes, ou à négliger les discussions philosophiques que celles-ci provoquèrent. On doit, enfin, étudier les erreurs et les échecs avec autant de soin que  les réussites. Les erreurs d’un Descartes et d’un Galilée, les échecs d’un Boyle et d’un Hooke ne sont pas seulement instructifs, ils sont révélateurs des difficultés qu’il a fallu vaincre, des obstacles qu’il a fallu surmonter ». Une telle étude, intégrée dans l’éducation scientifique, permettrait de remettre en contexte l’établissement de la connaissance au cours du temps et par conséquent nous rendrait plus à même de faire face aux crises et aux polémiques, de nous adapter aux idées nouvelles.  Il faut en effet garder à l’esprit que des questions d’apparence aussi banale que celles de la nature des théories scientifiques, du statut épistémologique des notions de découverte, de progrès, ou de vérité ne sont nullement considérées comme closes : de très nombreux penseurs les ont abordées par le passé et nombre d’entre elles demeurent, à ce jour, des sujets de recherche universitaire de haut niveau. Pourtant, à la différence de la philosophie ou des arts, l’éducation des ingénieurs et des apprentis scientifiques ne commence aucunement par l’étude approfondie de l’Histoire des sciences et techniques. Une partie de leur culture est donc passée sous silence, occultée.

Un premier niveau de responsabilité collective face à la prolifération et à l’indistinction généralisée de l’information


En formant ainsi des scientifiques sans culture, nous laissons toute latitude au culte du cargo pour se développer au cœur de l’un des piliers idéologiques du système capitaliste : les technosciences. Or, c’est sur l’autorité de ce complexe industriel, économique et financier que reposent nos sociétés depuis l’avènement des échanges marchands rationalisés, qui furent permis à la Renaissance (en Europe), par l’apparition de nouvelles techniques de standardisation et de systématisation de la production capitaliste. Historiquement les liens sont très forts entre l'émergence du capitalisme et les techniques de classement, d'archivage et de calcul. Ces nouvelles méthodes favorisèrent le progrès scientifique en même temps qu'elles développaient la division du travail et la gestion des stocks de marchandises. Mais ceci fera bientôt l'objet d'un nouvel article sur ce blog. De plus, la doctrine libérale qui traverse de part en part la pensée occidentale depuis l’époque des Lumières, se trouve elle-même amplement construite sur un mythe enchanteur, celui de la main invisible, qui garantirait l'autorégulation des marchés par des acteurs individuels, libres et rationnels. Il y a, en conséquence, une triple parenté dans la pensée magique entre sciences, techniques et capitalisme libéral, fondée sur la division méthodique du travail, la spécialisation extrême des activités et la foi nécessaire en la parole des experts. 

La main invisible censée garantir la régulation des marchés, dont la parenté est attribuée à Adam Smith.

Si cette interpénétration des ignorances au noyau même notre fonctionnement politique est, en définitive, peu surprenante au plan historique, elle constitue pourtant un véritable danger dans une société de l’information comme la nôtre : un vaste groupe d'individus ainsi élevés "hors-sol", privés de cette culture indispensable et des valeurs fortes qui lui sont consubstantielles, serait d'autant plus facilement manipulable et polarisable au gré des opinions. Nous voyons donc apparaître un premier niveau, si j'ose dire évident, de responsabilité collective dans l'enseignement de l'Histoire et de la philosophie des sciences.

Outre le fait que "croire en la science" sans questionner ni l'origine ni les raisons de son efficacité et de sa place centrale dans nos modes de vie revienne à tuer le savoir critique collectif, une telle introduction de la pensée magique dans le débat public est fortement préjudiciable au développement de la science elle-même. Car en effet, l'idéologie productiviste rationaliste responsable d'un nombre important de catastrophes au XXème siècle, reste largement identifiée dans les esprits à l'ensemble de la pratique scientifique. Ce principe de rationalité hypertrophiée, associé aux pires dérives du capitalisme industriel, semble hélas entraîner dans sa critique légitime une défiance croissante vis-à-vis de la recherche scientifique. Cette confusion amène logiquement le grand public à craindre et remettre en question, sur un mode symétrique de pensée magique, le statut des savoirs scientifiques. Il en résulte une prolifération néfaste, en particulier sur internet et les réseaux sociaux, de contenus pseudo-scientifiques parfois véritablement dangereux notamment sur des questions de santé publique, auxquels nous ne souhaitons faire ici aucune publicité supplémentaire. Ces caricatures d’explications, une fois drapées de l'autorité superficielle du vocabulaire scientifique, sont relayées dans l'indistinction généralisée et la cohue de l'information instantanée, sans jamais pouvoir être différenciées des résultats de la recherche honnête, qui ne se développent que sur des temps longs et n’offrent souvent que de maigres certitudes dans un débat polarisé à l’extrême. C'est ainsi que fleurissent les idéologies néo-luddites, remises sur le devant de la scène par de brumeuses controverses à propos de la collecte massive de données personnelles, de transhumanisme, de perturbateurs endocriniens ou de changement climatique. Comment en sommes-nous arrivés là ? Cette confusion s'explique, entre autres, par un facteur critique : si les parodies de discours scientifique pullulent à ce point, c'est que nous ne savons pas caractériser ce qui rend scientifique un discours. 

Face à cela, au moins deux solutions existent. La première consiste à montrer par l'exemple que ces pastiches d'explications scientifiques n'ont rien de commun avec la production de résultats de recherche en laboratoire, souvent plus fastidieuse, rigoureuse et de portée plus limitée que ce qu'imagine le grand public. De par son absence d'exhaustivité et son caractère très spécialisé, cette première approche est plus particulièrement adaptée aux étudiants scientifiques qui sont en contact avec les chercheurs et les professeurs. La deuxième solution, plus généraliste, commence par remarquer que la vulgarisation scientifique offre au public des résultats de sciences mais il est plus rare qu'elle mette en avant la façon dont ces résultats ont été acquis. De manière générale, la vulgarisation illustre plus qu’elle n’explique le haut niveau d’abstraction, de généralité et de complexité des sciences contemporaines. Dans ces conditions, il devient alors difficile de faire la distinction - si tant est qu'elle soit possible- entre savoirs et croyances. Connaître la science ne se limite pas, en effet, à connaître des faits scientifiques comme la rotondité de la Terre ou l'âge de l'univers, encore faut-il comprendre comment ces connaissances ont été établies, quelle démarche leur a donné naissance. Ayant reconnu que la science ne se limite pas seulement à un vocabulaire, rendons-nous cependant à l'évidence : on ne peut pas demander à tout un chacun de s'intéresser à la fondation de la connaissance humaine dans son ensemble. Toutefois, contre ceux qui affirment (et ils existent) que les technologies doivent être abolies et que le progrès scientifique doit cesser pour le bien de l'humanité future, nous répondons que nul ne peut prétendre lutter contre l'obscurantisme en annihilant la connaissance. Et c’est avec la notion de progrès technique que nous allons maintenant aborder un deuxième niveau de responsabilité collective dans l'enseignement de l’épistémologie et de l'Histoire des sciences.


Il s'agit de notre responsabilité collective envers le futur, face au mythe des technosciences neutres.


J'invite donc d'une part le lecteur à consulter ce précédent article où ce point est développé, et d'autre part à se tenir à l'affût de la parution prochaine sur ce blog d'un court essai synthétique concernant la question de la neutralité des technosciences.


A bientôt.

Références


[1] Discours de Richard Feynman "Cargo Cult Science" http://calteches.library.caltech.edu/51/2/CargoCult.htm 

[2] Ces derniers, et leur discipline, seront donc principalement concernés par le présent ouvrage, notamment lorsqu’apparaîtront les termes « sciences », « scientifiques » ou « chercheurs ».

[3] L’innovation permet de renouveler l’appareil de production capitaliste autrement que par la guerre (qui le détruit pour le renouveler).
 
[4] T. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques,  trad. L. Meyer, Paris, Flammarion, 1983, p.17

[5] A. Koyré, Etudes d’histoire de la pensée scientifique, chapitre « orientations et projets de recherche », Gallimard. 

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