Dans l'éditorial du 26 septembre 2020, Richard Horton, le rédacteur en chef de The Lancet, affirmait que la (le ?) Covid-19 n'est pas une pandémie mais une "syndémie". C'est à dire un ensemble de relations entre le virus, des conditions biologiques et des inégalités sociales qui pré-existaient à son irruption dans nos vies il y a maintenant un an. Cet article a été à mon avis trop peu relayé en France alors qu'il est brillant, notamment grâce à sa simplicité. En plus il ne fait qu'une page. Je l'ai donc traduit ici en Français pour que nous puissions en discuter. Voici ses mots :
« Alors que l'on approche du million de morts causés par la covid-19 au niveau mondial, force est de constater que notre vision de la gestion de cette épidémie liée à un nouveau type de coronavirus semble trop limitée. La cause de cette crise est généralement imputée a une maladie infectieuse. Toutes nos interventions sont focalisées sur la rupture des liens de transmission du virus, afin de contrôler sa propagation.Jusqu'ici, la "science" qui a guidé les gouvernements a été majoritairement conduite par des experts en modélisation des épidémies et par des spécialistes des maladies infectieuses qui, comme de juste, ont conçu le présent problème de santé publique en des termes vieux de plusieurs siècles, sur le modèle de la peste.
Mais ce que nous avons appris jusqu'à présent montre que la caractérisation de la covid-19 n'est pas si simple. Deux types de pathologies interagissent au sein de populations spécifiques - les infections avec syndrome respiratoire aigu liées au SARS-CoV-2 d'une part et, d'autre part, un ensemble de "pathologies non transmissible" (PNT). Ces pathologies s'agrègent dans certains groupes sociaux selon la même répartition que les inégalités qui traversent nos sociétés.
Leur regroupement sur un fond d'inégalités socio-économiques exacerbe les effets néfastes des deux catégories décrites plus haut. La covid-19 n'est pas une pandémie. C'est une syndémie. La nature syndémique de la menace à laquelle nous devons faire face implique une approche plus nuancée de la santé de nos concitoyens et de leur protection.
La notion de "syndémie" a été conçue par Merril Singer, un anthropologue de la médecine Américain, dans les années 1990. Accompagné par Emily Mendenhall et ses collègues, il écrivait notamment en 2017 dans The Lancet qu'une approche syndémique permet de révéler des interactions biologiques et sociales importante dans la détection et le traitement des maladies ainsi que leur intégration dans les politiques de santé publique.
Réussir à limiter les maux causés par le virus SARS-CoV-2 impliquera vraisemblablement la reconnaissance du rôle des PNT et des inégalités socio-économiques dans la syndémie. Car une syndémie n'est pas une simple comorbidité. Elle se caractérise par des interactions entre des pathologies et des états sociaux qui augmentent les risques sanitaires encourus par les individus. Dans le cas de la covid-19, réduire les PNT est un prérequis pour juguler correctement la propagation du virus. Comme l'a montré notre récent rapport sur les PNT d'ici 2030, bien que le taux de mortalité lié aux PNT soit en baisse, son rythme de décroissance demeure encore trop lent. Le nombre total de personnes vivant avec une maladie chronique augmente.
Traiter la covid-19 signifie d'abord traiter l'hypertension, l'obésité, le diabète, les maladies cardio-vasculaires et respiratoires chroniques, le cancer ... Accorder davantage d'attention aux PNT ne doit pas être l'apanage des seuls pays riches. Dans leur rapport publié la semaine dernière, Gene Bukhman et Ana Mocumbi ont également ajouté aux PNT les morsures de serpents, l'épilepsie, les maladies rénales, la drépanocytose ... Aujourd'hui, pour le milliard de personnes les plus pauvres au monde, cette liste regroupe plus d'un tiers des risques auxquels ils sont confrontés. Ce rapport à montré que dans la prochaine décennie, l'accès à des soins abordables et efficaces pourrait éviter presque 5 millions de morts parmi les populations les plus pauvres du monde. Et cette estimation ne tient pas compte de la réduction des risques liés au covid-19.
L'une des conséquences les plus importantes de cette vision de la covid-19 en tant que syndémie est la mise en évidence de son origine sociale. La vulnérabilité des citoyens les plus âgés; les Noirs, les Asiatiques, et les minorités ethniques; enfin, les ouvriers les moins bien payés et avec le moins de protection sociale mettent tous en évidence un fait jusqu'alors trop peu reconnu : quelle que soit l'efficacité d'un traitement ou d'un vaccin, une solution strictement "biomédicale" au covid-19 ne mènerait qu'à l'échec.
A moins que les gouvernements ne mettent en œuvre des politiques publiques et des programmes de réduction des disparités socio-économiques profondes, nos sociétés ne seront jamais vraiment à l'abri du covid-19. Ainsi que l'ont écrit Singer et ses collègues en 2017, "une vision syndémique donne une orientation très différente à la médecine clinique et à la santé publique en mettant en évidence le fait qu'une approche intégrative du traitement et de l'analyse des pathologies peut se révéler bien plus fructueuse que le simple contrôle d'une épidémie basée sur le traitement individuel des patients". J'y ajouterais encore un avantage. Nos sociétés ont besoin d'espoir. La crise économique grandissante ne sera pas résolue par un médicament ou un vaccin. Il ne faut rien de moins qu'un renouveau national. Considérer la covid-19 comme une syndémie nous invite à une vision plus large, embrassant à la fois l'éducation, l'emploi, le logement, l'alimentation et l'environnement. Voir la covid-19 seulement comme une pandémie exclut la possibilité d'un tel programme, plus ambitieux mais ô combien nécessaire.»