jeudi 29 août 2019

Amazonie en flammes : Le naturalisme occidental incompatible avec l'écologie ?


Cartographie des incendies en Amazonie : une représentation typiquement naturaliste du drame (notamment via l'abstraction et la quantification de l'espace physique, considéré comme généralisable dans sa mathématisation). Source : https://www.courrierinternational.com/article/bresil-en-amazonie-la-deforestation-lorigine-des-flammes
Le naturalisme, cette conception née en Europe au tournant du XVIIème siècle selon laquelle les humains constituent une sphère séparée du reste du monde, semble incapable de faire de la nature un enjeu politique et ne conçoit le milieu environnant que comme un simple gisement de ressources.

Pourtant, les conditions matérielles objectives (plantes, animaux, ressources …) déterminent nos conditions d'existence en influant sur le cours de l'histoire et dans la politique. Mais cette façon de voir les choses ne fait que perpétuer la vieille séparation entre humains et non-humains, entre culture et nature. Désormais, il nous incombe de penser le devenir de ces deux catégories non plus comme des variables indépendantes mais en tant qu’elles sont intrinsèquement liées. 

L’idée de protéger la nature suppose déjà une coupure entre l’homme et la nature. Pour les indiens d’Amazonie, qui sont animistes, cela n’a donc pas de sens. Au mieux, ils s’approprient cette idée pour des raisons politiques (protection contre la spoliation de leur lieu de vie par l’envahisseur occidental).
Dans une certaine mesure, l’écologie dualiste procède de la nostalgie d’un passé imaginaire. Elle dérive du rapport romantique à la nature entretenu au XIXème siècle par les élites urbaines européennes, au moment de la 1ère grande vague d’industrialisation et pourrait, au fond, n’être que la rémanence du vieux fantasme d’un passé arcadien

Il nous faut désormais apprendre à penser hors du carcan de l'idée de nature.
 
Concrètement, cela implique d'abandonner la vision que nous avons de la société comme une réalité distincte de l' environnement extérieur. Or, ce modèle "d'artefact social" est encore largement présent dans la sphère politique. Les unités de base d'appréhension de la vie politique que sont la société et le territoire délimité (le Demos grec) pourraient être adéquatement remplacées par un tissu d'écosystèmes à la fois interdépendants et en partie autonomes. Dans ce réseau de relations se produisent des échanges d'énergie et d'information destinés à perpétuer la vie des humains et des non-humains. Cette transition d’une vision statique vers une nouvelle forme de relationnisme dynamique ne pourra pas être menée de façon simplement théorique et abstraite. 

Pour comprendre l'ampleur de la transformation qui s'impose, Descola prend l'exemple des sites sacrés en Australie, qui relient ensemble un grand nombre d'éléments humains et non-humains, d'une manière qui dépasse le simple plan conceptuel. De tels sites ne sont pas seulement sacrés au sens où nous l'entendons grâce à nos concepts issus de la religion du Livre, ils sont littéralement vitaux.

Par exemple, l'effondrement, causé par une compagnie minière australienne, d'une formation rocheuse sacrée connu sous le nom de « Deux femmes assises », a provoqué chez les aborigènes une vague de maladies et de décès. Cette destruction « n'a rien à voir avec ce qui se passerait si des sites sacrés comme Notre-Dame, ou la grotte de Lourdes disparaissaient, des événements dramatiques sans aucun doute, mais qui ne provoqueraient pas la mort directe des fidèles. Car ce qui est détruit avec un site totémique, ce n'est pas seulement un lieu occasionnel de cérémonies, c'est ce que l'on pourrait appeler une "couveuse ontologique", c'est-à-dire le lieu où se joue très concrètement la formation de l'identité des membres d'un collectif, la racine commune à un groupe d'humains et de non-humains. Ce ne sont pas seulement des lieux qui symbolisent la présence d'êtres "surnaturels", mais le principe de leur existence elle-même et de leurs rapports vitale à une communauté concrète ». (Philippe Descola, La composition des mondes, p.326 , Champs essais, Flammarion, 2014).

En est-il de même des groupes humains animistes, dont les lieux de vie partent en fumée dans les incendies de la forêt Amazonienne ?

Faut-il un retour au sacré pour sauver la planète ? 

Sommes-nous (l'Occident moderne) la seule société dans l'histoire humaine à avoir été construite en écartant le sacré ?

En fait, pour une grande partie de l'humanité, la notion de sacré n'a simplement aucun sens. La distinction entre sacré et profane est spécifique des trois religions du Livre (Judaïsme, Christianisme, Islam), fondées dans la cosmologie analogiste, c'est-à-dire tout à fait singulières à l'échelle de l'humanité. Elle n'a donc que peu de sens en dehors de l'univers culturel où elle s'est développée.

Dans de très nombreuses régions du monde, les religions ont davantage une fonction de ritualisation de la vie civique, c'est-à-dire une fonction technique que l'on pourrait qualifier de régulation sociale. 

Une grande partie de l'humanité vit donc dans un univers aussi peu sacré que le nôtre. 

Cet univers est peut-être enchanté au sens de Max Weber (on y trouve esprits, ancêtres, etc…) mais n'est pas nécessairement fondé sur la séparation dualiste entre sacré et profane. Descola milite donc pour une décolonisation des concepts : une étude d'anthropologie comparative ne doit pas prendre pour modèle les pratiques occidentales, qui doivent plutôt être pensées comme exception à l'échelle du globe. Le monde est d'une diversité plus grande que ce que ces dichotomies ne permettent de penser.

Pour Descola, il n’y a pas de bijection entre le naturalisme et la crise écologique. En effet, comme l'a montré Jared Diamond, de nombreuses sociétés étrangères à l'épistémè naturaliste ont également connu des situations mettant en péril leur propre survie. Des effondrements sont survenus à la suite d'accroissements démographiques et d'épuisement des ressources dans un habitat limité. La nouveauté dans la situation actuelle réside dans l'interconnexion planétaire des pressions anthropiques sur l'environnement. 

Le grand défi qui se pose à l’humanité occidentale est donc de repenser les rapports entre humains et non-humains dans des modalités différentes de celles du naturalisme. L’héritage de plusieurs siècles de pensée moderne doit maintenant être dépassé, mais il serait naïf de croire que la solution puisse venir d’autres civilisations ou d’une ontologie différente de la nôtre.

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